Depuis quelques mois, depuis que je prends les transports en commun, j'observe un manège surprenant à l'arrêt de bus où j'attends une fois sorti de mon train de banlieue. Tous les matins donc, une ou deux personnes que je sais prendre le même bus que moi, traversent la rue pour en emprunter une autre. Ils marchent un petit peu, s'arrêtent, s'approchent de l'immeuble que le trottoir longe et en reviennent muni d'un journal gratuit, comme ceux qu'on trouve le matin dans les gares parisiennes et de la petite banlieue — j'habite visiblement trop loin pour bénéficier de cet offre.
La semaine dernière, n'ayant rien à lire en attendant le bus et pour une fois seul à l'arrêt, je me dirige vers l'endroit repéré. C'est là que j'ai rencontré cette vieille dame aux cheveux grisonnants. Je lui ai dit bonjour et c'est à cet instant, alors que je cherchais un distributeur de journaux gratuits, que j'ai vu les sacs qu'elles portaient à chaque main. Elle s'est arrêtée devant une fenêtre d'un appartement du rez-de-chaussée et a déposé sur le rebord le contenu de ses sacs. Des journaux gratuits, au moins une vingtaine de chaque titre disponible le matin. Elle a soigneusement arrangé les piles et a replié ses sacs en plastiques qui avaient l'air très usagés.
J'ai compris à ce moment que c'était elle qui fournissait les journaux aux voyageurs des deux lignes de bus qui s'arrêtaient près de chez elle. Je lui ai demandé la permission d'en prendre un et elle a commencé à m'expliquer qu'elle avait fait cela, une fois, comme une blague avec une de ses amies et que devant le succès de l'opération elle avait décidé de continuer. Depuis, tous les matins de la semaine, elle se lève aux aurores pour se rendre à Paris où elle fait son marché
. Puis une fois bien chargée elle revient chez elle pour offrir son butin. C'est elle qui habite là, dans ce petit appartement dont la fenêtre sert de kiosque sauvage.
Elle m'a dit que ça l'obligeait à se bouger, et qu'elle avait envie d'être utile, pour se sentir vivre. Voyant mon bus arriver plus haut dans la rue, je l'ai remerciée et saluée en lui souhaitant une bonne journée. Elle m'a répondu d'un Revenez quand vous voudrez ! Tous les jours si vous voulez, c'est là pour ça !
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1 De gilda -
Te voilà abonné !
C'est marrant j'y pensais l'autre jour : à la gare de Clichy Levallois, pourtant si proche de Paris les distributeurs de gratuits sont toujours vides du moins à l'heure où je dois m'en aller pointer. En revanche arrivé gare Saint Lazare, on est assailli de personnes effectuant les distributions. Pour certains, c'est bien, ils ne sont pas rendus ils ont encore long à faire, mais pour pas mal de gens la distribution arrive trop tard, surtout ceux qui viennent de plus loin, trajet bouclé.
Je me disais aussi que pour qui gagne moyennement sa vie, les journaux payants c'est un vrai budget à présent. J'ai l'impression d'être très âgée qui connus un temps où le salarié moyen pouvait s'acheter pain, café au bistrot, tickets de métro et quotidiens (les clopes je peux pas dire, je ne fumais pas) sans se dire gare à la fin de mois, sans même y penser, ça allait de soi, et même se payer un demi comptoir en sortant du taf avec ceux des collègues qui étaient sympas (on n'était pas tous en concurrence à l'époque, il existait des augmentations de salaires collectives, si si) ça faisait pas hésiter ni se dire sur quoi d'autre vais-je pouvoir compenser.
C'est beau cette dame qui trouve ainsi son utilité et un sens au début matinal de ses journées. Tu le racontes bien (je radote, je sais).
2 De Franck -
Merci gilda (je radote aussi, je sais) ;-)
3 De Thygo -
Trés belle histoire. Un acte gratuit, comme ça, juste pour le plaisir et pour bouger. J'adore
4 De samantdi -
J'aime beaucoup ce billet, il me fait penser au titre de ce film, "le lait de la tendresse humaine"... et plus généralement cette série sur les transports en commun.
En revanche, je suis plus mal à l'aise sur la question des journaux gratuits, en particulier depuis vendredi dernier, quand, à la gare, on m'offrit gentiment un "gratuit" avec en titre énorme sur portrait de première page "Brice Hortefeux, l'homme des missions délicates"... et je voyais dans le train tout le monde lire le même article instillant dans nos esprits "la mission civilisatrice "de ce ministre de l'expulsion.
Comme un journal de Téhéfun supplémentaire pour nous faire penser tous pareil.
5 De Franck -
Samantdi tu insinues que nous n'aurions pas suffisamment de discernement à la lecture de ses quelques articles complaisants ? Roh, voyons ! C'est mal connaitre les lecteurs … ah, on me signale dans mon oreillette que finalement ça ressemble assez à de la propagande \\o/
6 De Groumphy -
Hmm, voyons voyons... Le plaisir de cette brave dame fait plaisir.
Il est un dicton qui dit approximativement ceci : le plaisir de certain se résume à la joie ressentie par d'autres.
Pourquoi ne pas continuer ? Je trouve "cet acte gratuit" (oui cela existe encore de nos jours... Etonnement !) vraiment beau en soi.
Rien ne l'oblige et pourtant elle fait cela, non seulement pour elle-même mais aussi pour les autres.
7 De yo -
C'est un peu comme dotclear...c'est gratuit et distribué pour faire plaisir :-)
Très bel article. J'adore ces petites choses du quotidien, offertes aux gens réceptifs.
Par contre je vous rejoins sur la qualité de la presse écrite et gratuite, c'est effrayant.
Vive les cours d'autodéfense intellectuelle !
8 De Douja -
Une très belle histoire, Franck. Bel exemple d'acte gratuit comme il en existe plein d'autres. Ils sont bien là et ils font du bien pour celui/celle qui le réalise et celui/celle qui en bénéficie. Ces gestes, ces attentions là sont hors de prix.