Les piplettes

Elles sont trois, se retrouvent tous les jours au même endroit et à la même heure sur le quai de cette gare de banlieue pour prendre le train qui nous ramène vers nos logis respectifs. Et elles parlent, elles caquettent, elles cancanent.

La première est arrivée un peu avant les autres. Elle fume une cigarette blonde en attendant ses compères. Elle est assise sur un des banc métallique disponible le long des quais. Elle est plutôt petite, la quarantaine usée par le travail, les cheveux plats et coupés approximativement au carré. Elle a peut-être été mince il y a quelques années, mais le temps, les tracas, et la lassitude sont passé par là. Elle ne l'est plus et c'est visible lorsque l'on observe la manière dont elle est habillée. Elle porte un jean en tissu plutôt élastique et moulant qui ne cache rien des disproportions. Le haut est paré d'un blouson assez bouffant. Ses petites chaussures de ville renforce l'image de poire inversée qu'elle offre aux regards. Tous les jours la même tenue, tous les jours la même cigarette.

La seconde la rejoint quelques minutes plus tard. Il y a encore du temps avant que le train arrive. Blonde passée et frisée, assez grande, la quarantaine aussi usée que sa comparse, un nez bizarrement crochu qui détonne sous les lunettes. Un pantalon de ville sombre avec des mocassins assortis, un chemisier d'un autre temps, un manteau ou un imperméable qui a connu des jours meilleurs. Elle fume une cigarette blonde en se rapprochant. Elle reste debout et commence à discuter avec la première. Le travail, les enfants, les bons plans que les gens de banlieue pas très riches aiment à se partager. On fera une bonne affaire, certainement.

Enfin la troisième arrive. Le volume sonore augmente dès les bonjours rituels. Elle est beaucoup plus jeune que les deux autres, moitié plus jeune. Habillée de sombre pour cacher quelques rondeurs, elle ne fume pas de cigarette, pas encore. Elle est toute neuve dans le monde du travail et les deux autres la cornaquent. Elles savent, elles disent comment faire du haut de leurs expériences passées. Elles conseillent, elles guident, parfois de travers lorsqu'il s'agit de sujets qu'elles maîtrisent mal, mais elles ne le montreront pas. Non, elles sont omniscientes, elles savent. Et elle écoute et parle peu sauf quand on l'interroge et boit les paroles de ses deux aînées.

Tous les jours de la semaine elles se retrouvent sur le quai de cette gare, au même endroit, à la même heure. Depuis quelques jours je ne monte plus dans la même voiture, je les évite pour profiter d'un silence tout relatif, jusqu'à la correspondance suivante. Elles descendent comme moi et se dirigent vers l'arrière du quai pendant que je reste a l'endroit où je suis descendu. Leurs discours s'estompent au fur et à mesure de leur pas qui les éloignent.

Hier encore, je les ai vues, elles étaient là, toutes les trois, avec chacune une cigarette blonde au bout des doigts …

Ajouter un commentaire

Les champs suivis d'un * sont obligatoires

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant la syntaxe Markdown Extra.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : https://open-time.net/trackback/2500

Haut de page