La crise

Soudain l’aura. Elle est apparue, brièvement ce matin, alors que je me peignais devant la glace. Un frémissement dans les lèvres, dans le bas du visage, enfin dans le cou puis plus rien, juste une rémanence très légère dans la tête, comme lorsqu’on vient de se réveiller après une mauvaise nuit, l’a-t-on rêvé ou pas. Je n’ai pas voulu y prêter attention. Le stress de mon prochain job probablement, j’ai un rendez-vous important ce matin pour définir mes objectifs. Une direction commerciale ne se refuse pas, pas lorsque cela fait des années qu’on se bat pour passer outre ce glaive qui pointe au dessus de la tête. Mon neurologue m’avait prévenue, n’imaginez-pas pouvoir ignorer votre maladie, elle aura des conséquences importantes sur votre vie. Que nenni, je suis bien au-delà de tout ça me suis-je dit.

Je prends mon traitement, consciencieusement, tous les matins, sans en oublier aucun, et je m’empresse d’oublier. Je suis normale, je suis comme les autres. Mêmes droits, mêmes pouvoirs, rien ne peut me résister. Je leur montrerai ce que je vaux, que je vaux aussi bien que la bande de machos qui était présents lors de mon premier entretien. Attends un peu que je m’en occupe de ceux-là, ils vont beaucoup moins ricaner dès que j’aurai organisé les tournées à ma manière. Finis les arrêts au bistrot le matin avant de venir chercher les feuilles de route, finis les déjeuners clients qui durent des heures, parfois jusqu’à la fin de la journée. Finis aussi les fins de journée en milieu d’après-midi. Je veux du rentable, pas du tire-au-flanc.

J’ai soigneusement défini mes orientations pour en faire la présentation tout à l’heure à mon patron. J’y ai passé quasiment toute la nuit, au mépris du temps de sommeil minimum requis, tant pis, je récupèrerai ce week-end, si j’ai le temps. Ce n’est pas quelques heures de sommeil en moins qui vont changer grand chose. Cinq ans déjà que les crises sont contrôlées, cinq ans que j’attends la délivrance d’un verdict médical qui dira que c’est enfin fini. Que je suis guérie.

Dyptique, saison 4 - Session 5

Soudain l’aura. Elle est revenue alors que je traversais la place des Martyrs. Un frémissement dans le visage, dans le cou, qui se répand dans tous les membres. Soudain l’éclair et la crispation. Plus rien, le néant, vide, pas de couleur, pas de temps, pas de sensations, rien. Je me suis réveillée sous le regard de ce jeune garçon, un presque jeune homme qui me regardait avec insistance, vous allez mieux me demandait-il, vous n’avez pas trop mal ? Je ne comprenais pas. Pas encore, et puis soudain la lucidité revient. Coup de semonce, coup de butoir, le glaive est tombé, a traversé mon cerveau.

Doucement il m’a raconté mes gestes brutaux, saccadés, puis ma chute sur les pavés, comme une poupée de chiffon molle je m’étais affaissée doucement vers le sol. Il était resté là, en attendant que je reprenne connaissance, que la crise finisse, puis avait appelé un passant pour requérir un médecin, au moins pour vérifier que je n’étais pas blessée. J’ai l’habitude m’a-t-il dit, j’en fait au moins une chaque semaine, avant de repartir joyeux avec un joli clin d’œil…

Je ne suis pas seule !

(Ce texte constitue ma participation au Dyptique, saison 4 - session 5, organisé par Akynou)

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