Les papillons

La tripoteuse de tête est rentrée de vacances. On se revoit donc, dans le moelleux de son cabinet. Tout est doux chez elle, les tapis, le fauteuil, son sourire, ses yeux. Pas sa voix. Elle a le phrasé râpeux. Toujours au bord de la quinte de toux. Je commence à décrire mon dernier rêve, elle en est friande. Je le sais car dès que je m’allonge sur le canapé elle attrape un bloc-note et s’approche doucement en penchant la tête. Je ferme les yeux et les mots et les images commencent à défiler.

Au début ce n’était qu’une légère gêne, rien de plus, comme un petit bouton à peine visible. On sentait une légère bosse au passage du doigt, sur ce côté charnu à l’intérieur de la cuisse. Les mots venaient aisément, j’avais toujours eu quelques facilités dans ce domaine. Et puis, sans que je puisse expliquer comment, une ouverture était apparue. Petite, environ deux ou trois millimètres de diamètre, avec une excroissance verte pomme ponctuée de deux points noirs. Curieux avait-elle répondu, mais continuez, continuez. J’ai approché le doigt pour évaluer la consistance et à peine avais-je effleuré le bord qu’un papillon s’envolait de l’endroit. Vert pomme avec deux points noirs, un sur chacune des ailes.

Je ne me souviens pas ce qui s’est passé ensuite, enfin jusqu’au souvenir suivant, qui reprenait quasiment la même scène. J’étais pourtant sûr et certain qu’il y avait eu une pause entre les deux. Besoin de respirer me demanda-t-elle, à quoi je lui répondis que ce n’était pas utile. Retour donc sur l’ouverture, avec toujours cette excroissance verte pomme encore. Les deux points étaient là, présents. Je ne peux pas dire que cette “chose” se rendait compte de ma présence mais elle semblait réagir à mes mouvements. J’ai approché mon doigt et l’ai posé sur le côté, à quelques distances et j’ai appuyé.

J’avais du trouver un point sensible car aussitôt un long ver vert pomme est sorti de l’ouverture. Il devait faire au moins une trentaine de centimètres bien que je n’eus point de repère pour m’en assurer. La fin était là, proche, et le ver se tortillait en l’air, sans autres appuis visibles que le bout de sa queue encore enfouie dans le trou. Soudain, la fin, une myriade de petits papillons verts pomme se sont envolés. Je ne voyais plus qu’eux. Ils virevoltaient tout autour de ma cuisse. Chacun avec deux points noirs, comme deux yeux, sur chacune de leur petites ailes.

Elle reposa son bloc-note alors que je me tournais vers elle et j’ai ouvert les yeux. Les deux points noirs me regardaient, et son sourire s’est élargi. Vous comprenez m’a-t-elle demandée. Je lui ai répondu que je n’avais pas eu le temps d’y penser, ou plutôt non que je n’avais pas songé à y réfléchir, comme si les images se suffisaient à elles-même, qu’il n’y avait pas besoin de porter des mots. Elle a hoché la tête et s’est envolée…


Texte écrit à l’occasion des sabliers givrés de Kozlika, dont l’entame du grain 5, choisie par Benjamin, provenait d’un billet de David sur son blog Tangible, la femme espadon :

La tripoteuse de tête est rentrée de vacances. On se revoit donc, dans le moelleux de son cabinet. Tout est doux chez elle, les tapis, le fauteuil, son sourire, ses yeux. Pas sa voix. Elle a le phrasé râpeux. Toujours au bord de la quinte de toux.

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