Je me souviens d’une nuit de garde où nous n’avions pas encore trouvé la meilleure organisation pour se répartir les biberons nocturnes — on a assez vite compris qu’il valait mieux faire une nuit complète chacun et récupérer la nuit suivante que de se partager les nuits, un biberon sur deux — et qui m’est restée en mémoire. Cette nuit-là, donc, vers 2 ou 3 heures du matin, nous avons entendu le fiston s’agiter et pleurer pour réclamer une portion congrue de lait pas du tout maternel. Quelques secondes ont passé, le temps de se rappeler que cette fois-là était la mienne et je me suis levé encore à moitié endormi. C’est assez machinalement j’en conviens que j’ai préparé le nécessaire, comptant la dose idoine, etc. Je m’installe ensuite à peu près confortablement avec le minot au creux du bras gauche et lui enfourne gentiment la tétine dans le bec.
Une dizaine de minutes se sont écoulées, tranquillement, et j’observais toujours dans un semi-sommeil la descente du niveau du lait dans le biberon quand soudain j’ai réalisé que de descente point ! Pourtant le fiston aspirait comme un beau diable. C’est alors tout à fait réveillé que j’ai regardé attentivement ce qu’il se passait. Pas une seule bulle ne remontait comme il est d’usage, c’est qu’il y avait donc un problème. J’ai alors retiré le biberon de sa bouche et pendant qu’il reprenait son souffle, visiblement il y mettait fort bonne volonté, et j’ai commencé à dévisser l’embout pensant que je l’avais trop serré. Une fois fait je le lui ai redonné. Et le voilà reparti à téter de bon entrain. Quelques minutes se sont passées ainsi pendant que je m’étais replongé dans mes rêveries tout en surveillant le déroulement des opérations du coin de l’œil.
Toujours pas de changement de niveau. Bigre, c’était étrange. J’ai ressorti l’engin et ai décidé d’en avoir le cœur net. Ce n’est que lorsque j’ai eu dévissé et retiré entièrement le porte-tétine que je me suis aperçu que j’avais oublié de retirer la capsule entre le flacon et l’embout après avoir remué le mélange d’eau et de poudre. Pas étonnant que le niveau ne baissa point. Une fois le tout remis en ordre et ayant constaté le plaisir évident de la facilité avec laquelle le minot aspirait goulument son biberon j’ai fini par me dire qu’il était de bonne composition pour n’avoir point protesté face à mon incompétence passagère.
Cette anecdote me donne l’occasion de revenir sur le ou plutôt les débats qui courent en ce moment sur le net à propos des propos tenus par Élisabeth Badinter au sujet de l’allaitement, des couches lavables ou jetables et plus généralement de la situation des femmes et des mères dans notre pays. J’ai lu beaucoup de billets ici ou là, souvent complétés de longs échanges de commentaires parfois enflammés et le plus souvent très courtois. Je ne vais pas y revenir, ces dames — ce sont essentiellement des personnes de la gente féminine qui se sont exprimés ces derniers jours — l’ont très bien fait et avec bien plus de verve que je ne saurais le faire. Par contre il m’a apparu opportun d’écrire et de partager les quelques réflexions que j’ai au sujet de la place du père dans les premiers jours de la vie d’un enfant.
L’amour porté (ou donné, ou n’importe quel autre verbe qui conviendrait) à son fils ou à sa fille n’est pas inné. Je n’ai pas été touché par la grâce ou par je ne sais quel instinct paternel lorsque mon fils est né. Certes c’était le plus beau joufflu que j’ai jamais eu — le premier qui dit le contraire à un rendez-vous fixé à la prochaine récré avec moi — mais à part la fierté de l’avoir vu naître — et le soulagement de voir qu’il était en parfaite santé — je n’ai rien éprouvé qui puisse me faire penser qu’un tel lien existe de manière naturelle.
Enfant et jeune adolescent ma mère avait pris l’habitude de me charger de m’occuper de ma sœur avec laquelle j’ai presque dix ans d’écart. J’avais de fait une bonne idée de ce qu’il convenait de faire et surtout de ne pas faire avec un bambin. C’est ainsi que très rapidement j’ai pris l’habitude, dès que je le pouvais, c’est à dire le soir en rentrant du boulot et le week-end, de m’occuper de lui. Bains, biberons, change, etc jusqu’au coucher. J’ai passé ainsi pas mal de temps avec lui, en tête à tête le plus souvent, mais curieusement ce ne sont pas ces moments là qui m’ont le plus profondément marqué et je crois permis de tisser un lien entre nous deux. En effet, une fois repu et changé j’avais pris l’habitude, dès qu’il a été en mesure de se tenir assis, de le prendre sur mes genoux en face de moi et de lui parler doucement ou lui chanter — enfin plutôt de lui imiter vaguement — les chants diatoniques que certains esquimaux pratiquent, tout au moins chez les Inuits il me semble. Il avait alors une attention sans défaut et pendant de longues minutes il observait alternativement les mouvements de ma bouche et mes yeux. C’était à tout point étonnant et très intense, bien plus que les moments passés dans l’eau ou à manger.
Je connais des hommes qui n’ont pas eu l’envie de paterner comme j’ai pu le faire. Certains ont préféré attendre que leur enfant grandisse, atteigne un âge plus avancé, souvent celui où la parole s’installe. D’autres encore s’en sont complètement désintéressé pour des raisons diverses et variées que je ne vais pas énumérer ici. Changer les couches n’est pas ce que j’ai préféré, loin de là. Se lever au beau milieu de la nuit pour le nourrir non plus. Je l’ai fait parce que j’estimais normal de partager cela, pour autant que je puisse le faire. Je ne pense pas non plus que j’aurais été frustré que sa mère l’allaite comme elle avait émis le souhait au préalable — elle avait abandonné très rapidement s’apercevant que ça ne fonctionnait pas.
Je connais peu d’hommes qui ont eu l’envie de s’occuper de leur enfant tout petit. Ceux des générations précédentes, parents et grand-parents avaient des idées bien arrêtées sur le rôle exclusif de la mère auprès des enfants jeunes. Bien éloigné de ce que je peux moi même penser à ce sujet. Ceux de ma génération sont plus enclins à le faire, mais ce n’est pas très répandu j’ai l’impression quoique finalement je n’en connaisse pas tant que ça. Quand à ceux de la génération qui me suit, souvent ils n’en sont encore pas à se poser ce genre de questions, je crois.
Le rôle ou plutôt la place du père n’est pas chose aisée à prendre, à imaginer, à occuper. Souvent pendant les premiers jours de l’enfant, toute l’attention de l’entourage est portée vers lui et vers la mère. Je sais pour l’avoir vécu une fois qu’il est difficile de se faire valoir comme interlocuteur valable en ce qui concerne le bébé. Elle savent — probablement de façon héréditaire ou génétique j’imagine ! Ne vous méprenez pas, c’est ironique ;-) — comment s’en occuper alors que les pères sont gauches et malhabiles. J’ai entendu ça, à de nombreuses reprises. C’est dommage de se voir relégué au second plan, simplement parce qu’on pense la relation mère-enfant implicite et naturelle et pas celle qui pourra(it) exister entre le père et son bébé. Je ne suis pas sûr que la relation intra-utérine soit aussi prégnante que ce qu’on veut laisser croire. Je me demande si les échanges, sonores ou tactiles, qui peuvent avoir lieu pendant la grossesse avec le père ne jouent pas un rôle tout aussi important.
Peut-être d’ailleurs que lorsque je murmurais ou chantais à son oreille il se rappelait les sons entendus quelques mois plus tôt ?
J’aimerais entendre un peu plus les pères à ce sujet, et savoir comment les mères ont pu ou voulu leur faire une place à leurs côtés.
1 De mirovinben -
J’ai aimé paterner.
J’ai adoré particulièrement ceci : confortablement assis dans un fauteuil et les pieds sur la table-basse, le mettre face à moi sur mes genoux et lui tirer la langue, à gauche, à droite, lui sourire (ou pas) et lui cligner de l’œil. A peine agé de quelques semaines et il tirait la langue dès que je le faisais. Superbe dialogue muet. Fascinant et prometteur.
Pour le fils cadet, j’ai réitéré les mêmes manips (récup chez la nounou, biberons… etc…), avec autant de plaisir, même si j’étais moins surpris. Ce fut bien moins stressant. D’abord grâce au savoir-faire expérimentalement acquis, ensuite parce que Mme était plus présente, ayant changé de boulot et de lieu d’activité.
C’était l’époque (à présent lointaine, plus de 20 ans) où nous, parents, étions des dieux tout puissants pour eux, où ils dépendaient de nous pour tout apprendre.
Ensuite, il y a eu l’école maternelle, ses gros mots et ses contagions (là je résume sans tenir compte du boulot formidable des instits). Et nous devenions l’objet de comparaisons.
Le piédestal diminua petit à petit de hauteur. Ils ont entamé des apprentissages sans nous (ou malgré nous) et ont commencé à vouloir quitter progressivement le nid.
C’est bien.
Aussi.
2 De jathénaïs -
Voilà qui appelle réflexion…
D’abord, première idée préconçue : l’instinct maternel n’est pas non plus donné à toutes. Parfois, on a besoin de temps pour s’apprivoiser. Et puis quand bien même déborde t on d’amour pour ces charmants petits mammifères, on en a effectivement pas le mode d’emploi. Je passe sur les modifications corporelles diverses et variées que l’on subit entre le début de la grossesse et le retour de couches.. wahou, ça en fait de bonnes raisons de regarder nos progénitures de travers ! Je puis également affirmer que si la mère fut longtemps dévolue aux changements de couches pleines, ça n’en rend pas l’exercice plus agréable. A ma connaissance, le seul excrément dont on soit fier, c’est le premier, parce qu’il dit que tout va bien à l’intérieur.
Le seul lien supra plus fort qu’on puisse avoir avec eux, c’est le cordon, dont la rupture prend un peu plus de temps que le couic des ciseaux chirurgicaux qui nous sépare de notre bébé. De fait, quand on a accouché par voies basses, à défaut d’avoir un vrai instinct maternel, on a du moins tout à fait conscience de l’expression “la chair de ma chair”, je suppose que ça créé un lien. L’allaitement aussi, bien entendu, sur lequel le biberonne rivalise pas, juste à cause de la sécrétion d’hormones qui va avec.
Par contre, oui, le lien intra utero peut aussi se créer avec le papa, ou tout autre chose vivante à proximité (je t’ai jamais raconté les parties de ping pong entre mon chat et mon fils ? le premier s’amusant à courir après la petite bosse du pied dans mon ventre bien rond, et le môme qui jouait avec… moi, euh… j’arrêtais au premier retournement intégral du môme, parce que c’est pas super agréable non plus). Bref, un papa qui cause au ventre, qui le caresse, joue aussi avec les ptites bosses qui glissent sous ses doigts ou au contraire viennent à la recherche de la main, ben ça se retrouve après. Et je ne connais pas un papa qui ait pris le soin de ne pas attendre la sortie de son enfant pour faire connaissance qui n’ait lié rapidement des liens avec lui très tôt après la naissance. Les jeunes parents ont la chance de se reproduire dans une société qui admet le rôle de papa, et pas seulement de père. Ils ne sont plus juste celui qui a les “responsabilités matérielles”. Les mamans ont appris à leur faire une place, à déléguer, et eux à participer. Dans l’ensemble. Bon, on a toujours pas le mode d’emploi, mais au moins, on fait les choses à deux, et c’est vachement plus facile à vivre, pour tout le monde. Après tout on s’y est mis à deux pour faire nos merveilles non ?
Un peu moins de génralités : dès ma première grossesse, à part le tout premier examen gynéco qui m’a confirmé que j’étais enceinte, nous avons toujours fait en sorte que mon mari assiste à chacun d’entre eux, il a vu ses enfants grandir d’une écho sur l’autre (et puis comme j’étais pote avec mon médecin, j’en avais tous les mois, juste pour le plaisir), il a vu et entendu le coeur battre, il a vu les pieds, les mains apparaître, ils les a vu téter, il a décrypté les images pour découvrir le sexe (et m’a même épaté, se promenant fièrement avec la preuve indéniable de la masculinité de mon petit allien, que personnellement j’ai mis 10 ans à comprendre où était quoi exactement). Il a parlé à nos enfants alors qu’ils n’étaient encore que des tétards informes, il a joué avec eux, a assisté à la prépa à l’accouchement, a assisté aux accouchements et souffert dans sa chair quand j’ai manqué de lui briser la main, coupé le cordon de sa fille (pour son fils il est allé tomber dans les pommes dans le couloir un peu avant), a participé à la première toilette, leur a fait faire les premiers “pas reflex” sur la table d’examen, à peine vieux de quelques minutes. Il a dormi chaque nuit à la maternité près de nous. Une fois rentrés tous ensembles à la maison, ma foi, vive le partage des tâches, excepté donc, le repas, je n’avais pas trouvé le moyen de lui refiler mes seins… c’est bien dommage d’ailleurs, bon dieu que c’est lourd à porter, et souvent douloureux. Il a donné et pris les bains avec eux, changé une quantité de couches, s’est levé pour les rendormir, ou me les amener quand ils avaient faim, etc etc…
Bon, en même temps, j’ai bien fait d’en avoir choisi un qui a assuré quand ils étaient bébés, parce que côté autorité, il sait pas faire et il se retrouve fort démuni face à ses deux ados quand le ton monte, et m’appelle à la rescousse plus souvent qu’à mon tour… Mais même maladroit, il reste leur papa, il adore ses gosses qui le lui rendent bien. Peut-être aussi parce que j’ai choisi de faire des concessions assez larges pour lui laisser toute la place nécessaire même après notre séparation, et pouvoir continuer de faire un bloc parental solide quand les événements de la vie de nos enfants le nécessite.
En conclusion, être parent, ça s’improvise un peu, ça s’apprend, beaucoup, et c’est éclatant tout le temps, et à deux c’est encore mieux !
3 De jathénaïs -
Et tu sais quoi ? Je serais curieuse de savoir comment j’agirais aujourd’hui… avec le recul et la maturité… je retenterais bien l’aventure
4 De miss glu -
Les papas que je connais, à commencer par le mien, ont fait preuve de tendresse, d’amour immédiat pour leur bébé.
il y a trop d’idées reçues
5 De cultive ton jardin -
“Elle savent — probablement de façon héréditaire ou génétique j’imagine ! Ne vous méprenez pas, c’est ironique ;-) — comment s’en occuper alors que les pères sont gauches et malhabiles.”:
Je pense que tu as raison de pointer cette condescendance des femmes vis à vis des hommes quand il s’agit d’enfants. Comme tous les clichés, elle repose sur une réalité (en partie) obsolète. Ni hérédité, ni génétique, bien sûr, mais il y a effectivement une “culture”. Les hommes entre eux, les femmes entre elles, n’ont pas les mêmes sujets de conversations, les mêmes centres d’intérêt, il suffit de se trouver homme dans un groupe de femmes ou femme dans un groupe d’hommes pour le vérifier, même si c’est moins caricatural aujourd’hui.
Sauf qu’évidemment, cette condescendance participe au maintien du stéréotype. Et empêche le renouvellement des idées sur l’éducation. Les hommes, étant moins que les femmes marqués par cette “culture” de maternage, peuvent apporter, et apportent un souffle nouveau dont nous serions, hommes, femmes et enfants, bien bêtes de nous priver.
Place aux hommes, donc.
6 De Luciole -
Mon il trouvait et trouve encore que je suis une mère poule, et j’entends bien que c’est sa façon de me dire, laisse moi une place. ça n’a pas été facile de lui laisser de la place alors que j’en avais l’envie par ailleurs. ça a été un dur travail de me retenir d’intervenir. Pourquoi ? Difficile à dire, peut être parce que j’ai eu un père nocif et que j’ai un problème de fait avec la confiance, peut être aussi que quand c’est l’autre qui gère, mon sentiment rassurant de puissance (capacité d’agir pour son bien) se transforme en sentiment d’impuissance … Mais honnêtement, moi je ne me sens pas mère poule et même parfois j’aimerai qu’il s’interpose plus entre la merveille et moi (oui, les mères doivent faire une place mais ce serait bien que les hommes se battent d’avantage pour la prendre, c’est toujours mieux quand on est deux à travailler dans le même sens). C’est pas facile de trouver le bon équilibre. Il y a une chose dont on s’est rendu compte par exemple c’est que quand elle fait un caprice et que nous devons sévir, quand c’est lui qui le fait mon petit coeur de mère souffre, et quand c’est moi qui le fait son petit coeur de père souffre. Il faut une grande confiance et un grand amour entre nous pour ne pas écouter cette souffrance et laisser l’autre agir.