Révélation

La pluie tombait régulière derrière la vitre pendant qu’Alphonse observait les passants courbés sous leurs parapluies et qui se précipitaient à l’abri. Depuis quelques heures déjà il avait donné ses plaques à René — un ancien camarade de chantier — qui travaillait depuis quelques mois dans ce laboratoire photo de la rue Vieille et se remémorait les quelques bribes de son passé récent qu’il lui revenait encore…

Sophie avait été une compagne discrète pendant les quelques mois qu’il avait passé avec elle, il y un peu plus de cinq ans, avant le changement. Ils avaient trouvé un autre logement, plus confortable et y avaient passé quelques mois, dans la douceur de l’été et de l’automne peu rigoureux dans cette région du sud. Puis elle était partie. Il n’avait fallu que trois semaines pour qu’il la voie dépérir sous ses yeux impuissants. Un mauvais virus, une mauvaise pneumonie avait dit l’infirmier qui était passé un soir alors qu’elle toussait sans discontinuer. Elle lui avait serré fort la main la dernière nuit et s’en était allé, dans un soupir. Et puis Jacques, son fils, l’avait proprement délogé dans la semaine qui avait suivi en expliquant qu’il ne pouvait se permettre de continuer à supporter les charges de l’ancien logis de sa mère. Alphonse avait alors regroupé ses quelques affaires et avait repris la route, sans se retourner.

Cela faisait longtemps qu’il ne se préoccupait plus d’avenir, qu’il vivait au jour le jour, dépendant souvent des autres pour se loger et parfois pour se nourrir. Alphonse sentait poindre une légère mélancolie lorsque René l’interrompit soudainement : « Alphonse, tu veux venir derrière, j’ai un truc à te montrer ! ». Alphonse se retourna et suivi René dans l’arrière-boutique. « Viens-voir tes tirages, il y a quelque chose de bizarre… » poursuivit René en montrant les tirages en train de sécher accrochés au fil tendu au travers de la pièce. Alphonse s’approcha et observa un premier tirage, puis un second. Il hocha la tête une fois ou deux et demanda à René s’il fallait encore longtemps avant que tout soit développé. « Une heure encore et j’en aurai fini, mais c’est quoi ces tâches ? D’où ça vient ? Tu devrais vérifier ton appareil, ça n’est pas normal ! » dit René en reprenant le lent ballet des feuilles qu’il passait d’un bac à l’autre, sous la faible lumière rouge.

Alphonse retourna chercher sa besace, en sorti son appareil et vérifia soigneusement son objectif et le fond du boîtier. Aucune trace hormis ce petit grain de poussière coincé dans un coin de l’objectif. Mais ça ne pouvait correspondre et il s’en doutait bien avant de sortir son appareil. Aucun des tirages ne présentait le même schéma de défauts. Parfois c’était une multitude de petits points, régulièrement espacés, parfois une ou deux grosses tâches irrégulières. Ça ne venait pas du matériel, il en était certain, pas plus des plaques qu’il utilisait.

La fin de la matinée passa doucement pendant qu’Alphonse réfléchissait à la découverte de René et lorsque celui-ci ressorti de son labo avec un carton à chaussure rempli des tirages développés et secs il remit son manteau et attrapa sa besace pour y glisser les photos. « René, pour l’instant, tu gardes ça pour toi, hein ? Il faut que je vérifie quelque chose… » dit Alphonse en serrant la main de René qui opina du chef. « Pas de problème, tu me connais. » entendit-il en refermant la porte vitrée derrière lui.

René retourna vider ses bacs, nettoyer son plan de travail et une fois fini son méticuleux rangement il se dirigea vers le téléphone mural. « Allo ? C’est René. On a un problème, Alphonse se doute de quelque chose maintenant. » et il raccrocha sans attendre de réponse, enleva sa blouse et l’accrocha à la patère près de l’escalier et monta à l’étage pour déjeuner. Il avait fait son maximum pour masques les tâches, mais il y avait trop de tirages à traiter, alors il avait décidé de laisser tomber. Qu’ils se débrouillent là-haut avait-il pensé, il ne pouvait faire l’impossible, pas avec les maigres ressources qu’ils lui avaient octroyées.

Alphonse passa l’après-midi sur le côté de la grande route qui le ramenait au village où il arriverait probablement dans la journée du sur-lendemain. Une question, obsédante, emplissait toutes ses pensées depuis qu’il était ressorti du labo. Impossible de détourner l’attention et à plusieurs reprises, il s’était arrêté et assis sur le talus pour ressortir et observer ses photos. Toujours la même interrogation, sans réponse, sans même un début d’explication voire d’hypothèse. Pourquoi n’y avait-il pas de tâches ailleurs que sur le visage des gens qu’il avait photographiés ?

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