Open Time - Mot-clé - conte<p>Open time, open mind, open eyes</p>2024-03-28T18:30:45+01:00Franck Paulurn:md5:61070eb8c883ae7581f861faefddecbfDotclearLe fosséurn:md5:56ae76055e7665b24740ef5be92fef202011-04-20T20:21:00+02:002011-04-20T20:21:00+02:00FranckMotsconteenfanceété <p>Je me souviens d’un petit garçon qui venait tous les ans avec ses grands-parents au début du mois d’août. Ils avaient l’habitude d’installer leur grande tente et tout leur attirail dans un verger qui séparait la berge du fleuve et la route qui donnait sur notre ferme. Nous avions du bétail, vaches, veaux et un taureau, quelques cochons, volailles et des lapins pour agrémenter l’ordinaire ou compléter nos revenus, un joli verger de prunes de toutes sortes, des pommiers bien sûr — comment faire autrement dans cette région ? — et quelques hectares de céréales. Tout cela donnait beaucoup de travail, tôt le matin et jusque tard le soir, surtout l’été lorsqu’il y avait les moissons.</p>
<p>À cette époque j’étais déjà bien âgé et c’est en soufflant un peu que je remplissais laborieusement mes tâches. Dès six heures du matin, je partais avec le patron pour la traite des vaches. À cette époque il le faisait à la main, avec un seau et un trépied, pendant que sa femme s’occupait de ramasser les œufs pondus de la nuit et nourrissait les volailles, les cochons et les lapins. Je me souviens qu’ils avaient longuement parlé de commander et de faire installer une trayeuse électrique mais l’importance de l’investissement les freinaient encore beaucoup. L’année prochaine peut-être répétait le fermier, l’année prochaine. Je savais bien qu’il préférait le faire comme son père le lui avait appris et ils n’auraient jamais sauté le pas sans l’insistance du fils ainé qui tenait absolument à moderniser leur outil de travail.</p>
<p>Ce petit garçon était avide de venir travailler et observer nos travaux, du matin jusqu’au soir et dès qu’il nous entendait revenir le matin, vers sept heures une fois le lait récupéré, il courrait à notre rencontre pour demander si on avait, par le plus grand des hasards, besoin de ses services. À chaque fois le patron esquissait un sourire et lui disait de monter avec lui, qu’il allait voir ce qu’il pourrait lui donner à faire. Nous passions alors toute la journée en sa compagnie et il donnait un coup de main, là où il pouvait, du haut de ses neuf ou dix ans et le peu d’habitude qu’il avait des choses de la campagne faisait qu’il ne servait pas à grand chose, mais au moins il ne gênait pas, s’intéressait et apprenait vite.</p>
<p>Il faisait très chaud en ce début du mois d’août et la poussière de la moissonneuse-batteuse rendait la respiration difficile lorsque nous étions sous le vent. Il fallait faire vite, beaucoup de fermiers attendaient leurs tours pour la moisson et on craignait toujours un orage de grêle catastrophique à cette époque de l’année. Alors toute la famille était là, jeunes et moins jeunes, chacun muni d’une fourche pour monter les bottes de pailles sur la remorque. J’avais vu qu’il peinait avec cet outil une fois et demi plus grand que lui et ses mains fragiles commençaient à rougir avec le frottement du manche en bois. Au bout de quelques heures, le fermier l’avait appelé et l’avait fait venir près de lui. « Tu vois ce tracteur, lui avait-t-il dit, eh bien c’est toi qui va monter dessus, le conduire pour avancer la remorque au fur et à mesure qu’on mettra les bottes dessus. J’aurai une personne de plus pour l’ouvrage et on sera plus vite au bout ».</p>
<p>Le garçon était très impressionné, à la fois par l’engin bruyant et remuant et par la confiance du fermier à son égard. L’homme lui avait montré comment mettre doucement les gaz avec le levier pivotant sous le volant et comment freiner l’ensemble en appuyant sur la pédale de gauche. « Essaye », avait-t-il dit, et après avoir senti le garçon hésiter un peu je l’ai vu attraper le levier, le tirer doucement vers lui jusqu’à ce que les yeux du fermier acquiescent et ensuite se tenir fermement au volant pour garder la ligne pendant que l’ensemble commençait à avancer. « Stop ! », cria le fermier quelques secondes plus tard, et le garçon dû s’agripper fermement au volant, se lever et appuyer de toutes ses forces sur la pédale qui était si dure pour lui. Une fois vaincu le ressort de rappel, il finit par obtenir ce qu’il voulait et nous nous sommes arrêtés tranquillement et sans à-coups au bout de quelques mètres.</p>
<p>Nous avons passé quelque temps, lui sur le tracteur, fier comme pas deux du haut de ses trois pommes, et nous avec lui qui suivions à notre rythme. Chaque jour qu’a duré la moisson nous nous retrouvions comme cela, sous le soleil, en nous arrêtant de temps à autres pour laisser souffler les poumons et nous rafraichir. Il avait pris de l’assurance avec le temps et était dorénavant capable de faire des petites manœuvres au bout du champ pour revenir sur le sillon suivant. Jour après jour il apprit à anticiper les réactions en observant le déplacement des roues et la configuration du terrain. Il arrivait à compenser la légère pente que l’on rencontrait parfois sur le bord des champs et le fermier était visiblement satisfait de l’aide qu’il apportait.</p>
<p>Un matin, juste après la collation — quelques tranches de pain garnies de camembert et arrosée de boisson, un mélange de cidre et d’eau fraîche — le fermier demanda à la tablée si quelqu’un avait porté de l’eau au troupeau qui paissait dans le champ près du petit phare. Ce matin là, les yeux du petit garçon avaient brillé lorsque l’homme s’était tourné vers lui pour lui demander s’il se sentait capable de le faire. « Oh oui ! », avait-t-il répondu, car il connaissait bien la route qui menait à ce champ. Le fermier était sorti alors pour atteler la tonne d’eau pleine et démarrer l’engin.</p>
<p>C’était un joli voyage que ces quelques kilomètres parcourus en sa compagnie, car on l’entendait crier et chanter de joie alors qu’il tenait fermement le volant qui gigotait dans tous les sens. Arrivé devant le portail du champ, il avait appuyé comme il on le lui avait appris sur la pédale et doucement il s’était arrêté devant l’entrée. Il avait repoussé le levier d’accélérateur et était descendu pour ouvrir. Ensuite il était remonté, avait redémarré et, après avoir s’être arrêté pour refermer derrière lui, s’était dirigé vers l’abreuvoir qui se trouvait au bord du fossé. Ensuite il avait commencé les manœuvres nécessaires pour amener le robinet de vidange de la tonne juste au dessus de l’endroit voulu.</p>
<p>Une manœuvre, puis deux, c’était difficile car les bêtes avaient détrempé le sol à cet endroit et les roues avant glissaient beaucoup empêchant de tourner correctement. À un moment, le garçon se trouva sur le point de verser l’avant dans le fossé alors il se leva pour freiner comme il avait appris, seulement nous avions déjà entamé la descente et débrayer ne lui servit à rien. Cette fameuse pédale de gauche, l’embrayage, était suffisante pour s’arrêter sur terrain plat, mais dès qu’il s’agissait de freiner quelques tonnes dans une descente il en fallait beaucoup plus, il aurait fallu utiliser la pédale de droite, celle du frein. C’est comme cela que nous nous étions retrouvés avec le nez froissé dans le fossé et bien sûr, avec le poids de la tonne d’eau derrière et le sol mouillé, nous n’avions aucune chance de faire une marche arrière, je n’étais pas assez fort pour cela.</p>
<p>Il avait alors tout arrêté et était reparti à pied, en pleurant vers la ferme pour expliquer sa bêtise. Le fermier n’avait pas beaucoup crié mais on devinait sa colère de voir son outil cabossé et hors d’usage. Il leur avait fallu l’aide d’un autre tracteur et de quelques bonnes volontés pour sortir le tout du fossé et ensuite quelques heures avaient été nécessaires pour retaper la carrosserie qui avait souffert pendant l’accident. J’avais vu le garçon observer les réparations de loin, l’air penaud, espérant un pardon. Ce pardon qui était venu bien plus tard, à la fin des vacances et seulement par la femme du fermier qui l’avait pris en pitié.</p>
<p>Je regrette un peu ce temps là, car depuis ce jour, plus jamais il ne m’a conduit, ni moi ni aucun autre tracteur de chez nous.</p>
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<p>Publié initialement le 13 août 2008.</p>https://open-time.net/post/2011/04/20/Le-fosse#comment-formhttps://open-time.net/feed/atom/comments/6738Le renardurn:md5:a16e9fc31ab27699bd3ff227af04fb032011-04-19T20:13:00+02:002011-04-19T20:13:00+02:00FranckMotsconteegoenfance <p>Il était une fois un jeune garçon qui habitait avec son petit frère et ses parents dans une petite résidence de banlieue. Leur appartement se trouvait au deuxième et avant-dernier étage. La chambre dans laquelle il dormait et qu’il partageait avec son frère avait une grande fenêtre qui donnait sur un petit parking dont une partie était surmontée d’un préau. Souvent, une fois la lumière éteinte et son frère endormi, il se relevait et allait se poster juste derrière les lourds rideaux qui masquaient la lumière du réverbère qui luisait plus loin.</p>
<p>C’était un rêveur et il pouvait rester des heures à observer les ombres, les lumières grises et à écouter les bruits qui ponctuaient le silence nocturne. Parfois il retournait se coucher et allumait sa petite lampe de chevet ou bien la lampe de poche qu’il cachait dans son tiroir pour continuer la lecture d’un roman ou d’un conte quand il ne s’agissait pas de feuilleter au gré des définitions un dictionnaire. Parfois il plongeait dans une sorte de semi-rêve dont le décor se trouvait de l’autre côté de la fenêtre…</p>
<p>Un renard passait souvent par ici une fois que le calme était revenu dans la ville, quasiment toute les nuits sauf pendant l’hiver, pensait-il en voyant remuer la longue queue de l’animal qui traversait furtivement la cour. Il était suffisamment intelligent pour savoir qu’il ne pouvait s’agir que d’un chat mais un chat dans son rêve n’était pas assez magique alors il le transformait toujours en un magnifique goupil roux et or dont les yeux brillaient à la lumière de la lune. Il l’imaginait partir à la chasse aux musaraignes ou aux gerbilles qui devaient pulluler dans la forêt, de l’autre côté de la nationale. Parfois il le voyait quelque temps plus tard, marchant plus doucement et traversant dans l’autre sens puis disparaissant dans la noirceur de la nuit…</p>
<p>Juste derrière le préau, après le mur qui bordait la résidence, se trouvait une usine de blocs de glace. Il en était convaincu car souvent, la nuit seulement pour des raisons de température imaginait-il, il observait un homme qui marchait sur le préau, habillé de vêtements sombres, le dos recouvert d’une grossière toile de jute, et portant un gros et lourd bloc de glace presque translucide qu’il avait ferré avec un crochet à manche de bois. Aussitôt qu’il le voyait le petit garçon se reculait pour éviter d’être aperçu par le débardeur. Il glissait juste un œil pour suivre la progression de l’homme qui allait chargé, toujours dans le même sens, de la droite vers la gauche, et qui redescendait une fois traversée la longueur du préau…</p>
<p>Quelques années plus tard, le petit garçon devenu un homme est revenu voir cette petite résidence. Il est entré dans la cour, puis a longé le petit immeuble pour enfin se retrouver sur la scène de ses rêveries d’enfant. Le préau n’avait pas changé d’allure, le parking et la cour non plus, par contre l’usine de glace avait été remplacé par un concessionnaire automobile dont les néons clinquants gâchaient maintenant la poésie du décor. Il n’a jamais su s’il s’agissait vraiment d’une usine qui fabriquait de la glace. Il n’a jamais su s’il s’agissait vraiment d’un renard qui avait son terrier caché non loin. Par contre il sait encore aujourd’hui les rêves qu’il faisait alors.</p>
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<p>Publié initialement le 30 juillet 2008.</p>https://open-time.net/post/2011/04/19/Le-renard#comment-formhttps://open-time.net/feed/atom/comments/6737Les extraterrestresurn:md5:86c82a611c9bf45afb196983b45c623c2008-11-28T19:47:00+01:002009-05-20T10:17:38+02:00FranckMotsconterencontrevoyageécriture <p>Le premier arrive, jean noir serré, un blouson qui doit dater des années 80 si ce n’est encore plus vieux, un visage fin, coupé à la serpe, une barbe de deux ou trois jours, la peau marquée et grêlée, les yeux noirs enfoncés profondément sous les sourcils broussailleux, une chevelure couleur corbeau, abondante et désordonnée. Il apparaît plutôt maigre, sec, cela se voit à ses mains et ses doigts qu’il a nerveux et osseux, les veines saillantes courent en remontant vers les poignets. Une lumière qui pulse attire mon regard vers son oreille droite. Une sorte d’écouteur sans fil est accroché là. L’homme scrute les environs, comme s’il voulait évaluer les dangers de l’endroit, se familiariser avec la configuration des lieux, puis se retourne enfin. Je l’entends marmonner quelque chose mais sans arriver à distinguer un seul des mots qu’il prononce.</p>
<p>Le deuxième arrive enfin, en soutenant un troisième compagnon. Il le tire par la manche en l’encourageant à marcher : « Allez, encore un effort, ce n’est plus très loin ! » dit-il au troisième. Une oreillette de même facture est également accroché à l’oreille droite du deuxième. C’est une copie quasi conforme du premier à la différence près de la paire de lunettes qu’il porte sur son nez. De gros verres de myope, je suppose, qui lui grossissent exagérément son regard. Un jean noir serré, un blouson vert foncé qui provient probablement du même fournisseur que le premier, j’ai aussitôt pensé à des clochards mais les oreillettes prouvaient évidemment le contraire. D’où venaient-ils. Où allaient-ils. Et surtout pourquoi le troisième était si différent d’eux dans son apparence et son attitude. Il semblait désorienté, comme s’il éprouvait des difficultés à se mouvoir et à comprendre où il se trouvait et ce qu’il faisait.</p>
<p>Le premier n’a plus bougé en attendant les deux autres. De temps en temps je l’entends dire un mot ou une phrase pendant qu’il observe la procession laborieuse de ces deux compères. Le troisième est plus petit que les deux autres, plus gros, plus lourd. Il porte un survêtement noir rayé de deux bandes blanches le tout recouvert d’un caban élimé. De grosses baskets neuves et rouges ornent ses deux pieds et, contrairement aux deux autres, aucune oreillette n’est visible sous son bonnet de laine noire. La petite lumière bleue luit sur le côté du visage de chacun des deux premiers dans cette nuit tombée sur le quai du tramway. Ils arrivent enfin devant les sièges vides disposés là. Le premier fait un signe au deuxième, lequel dit aussitôt au troisième « Assied-toi là, tu seras mieux ! ». Le troisième n’a pas l’air de comprendre et regarde hagard celui qui vient de lui parler. Puis, au bout d’une bonne dizaine de secondes, il comprend enfin et pose son postérieur sur un des sièges libres.</p>
<p>Quelques minutes se passent en attendant le tramway dont l’arrivée imminente finit par être annoncée. Les deux <em>connectés</em> se parlent par oreillette interposée tout en observant chacun de leur côté. Curieuse conversation dont je ne capte que quelques bribes où il est question de boisson, de gravité et d’entrainement. Bizarre. Enfin la rame arrive et s’arrête devant nous. Je monte aussitôt et avise une place libre dans un coin où je vais me poser. Le deuxième attrape la manche du troisième et lui dit « Allez, il faut monter, il va partir sans nous… ». Le troisième n’a pas l’air d’être là, comme s’il n’entendait pas ce que le deuxième lui disait et c’est avec lenteur qu’il finit par répondre à la sollicitation musclée du deuxième. Le premier est déjà entré, prêt à bloquer la fermeture des portes s’il fallait. Le deuxième puis le troisième entrent à leur tour puis se dirigent vers le premier qui s’était dirigé entre temps vers quelques places assises et disponibles.</p>
<p>Je me suis plu à imaginer l’environnement de l’endroit d’où il venaient, une atmosphère moins chargée en oxygène, peut-être beaucoup polluée que la notre. une gravité moins forte ou bien des moyens de déplacement qui diminuaient l’effort demandé pour se déplacer. Comment avaient-ils fait pour choisir leur destination. Avaient-ils étudié notre civilisation pendant quelques années avant de se décider à venir. Toutes ses questions tournoyaient dans ma tête et occupaient mon esprit pendant mon voyage. À chaque station, le premier ou le deuxième se levait, allait vers les portes ouvertes, jetait un œil à l’extérieur et revenait s’assoir avec un air satisfait. Quelques mots dits à haute voix provoquait le clignotement de l’oreillette et la jumelle accrochée à l’oreille de l’autre compagnon s’allumait alors en cadence.</p>
<p>Il aura fallu toute la conviction du deuxième pour obtenir du troisième qu’il s’asseye une nouvelle fois, comme si ce geste lui coutait un effort surhumain et c’est à cet instant que j’ai commencé à comprendre ce qu’il se passait. Les deux premiers étaient entrainés ! Voilà l’explication. Cela faisait probablement plusieurs mois qu’ils étaient là et avaient pu s’habituer petit à petit à l’environnement étrange auxquels ils étaient soumis. Les efforts consentis pendant cette durée les avaient amaigris considérablement et ils devaient compenser les pertes caloriques consécutives à cette perte de poids en portant de gros et chauds blousons. Le troisième venait juste d’arriver, c’était évident car il suffisait de l’observer un peu pour comprendre que la gravité et l’atmosphère particulière le forçait à un exercice musculaire dont il n’était pas coutumier et il était quasiment certain que la proportion d’oxygène dans l’air soit la raison de sa désorientation. Il allait lui falloir quelque temps avant de se métamorphoser et de s’acclimater comme ses compatriotes.</p>
<p>Terminus, tout le monde descend. Je. Ils aussi, toujours en tirant le troisième par la manche. je me suis retourné et les ai observé un moment avant de repartir vers ma destination finale, au chaud. Je me suis longuement demandé si j’allais les aborder, leur poser des questions, au moins quelques unes de celles qui n’avaient toujours pas trouvé de réponse. Et puis j’ai renoncé, sans trop savoir pourquoi, peur d’une réaction bizarre peut-être ou simplement la fatigue et l’envie de me retrouver à l’abri. les hypothèses sont toujours dans mon esprit alors que j’écris cette rencontre du troisième type. Petite planète ou haut pays, je n’ai pas encore décidé ce qui me plairait le plus de croire…</p>https://open-time.net/post/2008/11/28/Les-extraterrestres#comment-formhttps://open-time.net/feed/atom/comments/133