Le Président de la République a envoyé une lettre à tous les éducateurs — ce qui je suppose comprends tous les membres du corps enseignant et des structures amenées à recevoir des enfants. Un passage particulier, qui a également été relevé par Otir et qui en fait une analyse très juste dans ce billet, m'a donné l'envie de vous parler des enfants porteurs de handicap. Pour rappel, ce passage est celui-ci :
[…] Si je souhaite que les enfants handicapés puissent être scolarisés comme tous les autres enfants, ce n'est pas seulement pour faire le bonheur des enfants handicapés mais aussi pour que les autres enfants s'enrichissent de cette différence. […]
[ source : Lettre aux éducateurs du 4 septembre 2007, Présidence de la République ]
Je ne vais pas revenir sur le contenu de cet extrait, Otir l'a déjà fait et j'approuve totalement ce qu'elle en dit. Ce qui m'importe ici est de parler des enfants porteurs de handicap. Pourquoi porteurs de handicap et pas handicapés ? Tout simplement parce que le statut d'handicapé est en France évalué et accordé — je ne suis pas sûr qu'accordé soit le terme juste vu le contexte, mais passons — par une instance particulière. Ce statut ouvre l'accès à certaines aides, par toujours en nombre suffisant d'ailleurs[1]. D'autres enfants par contre ne seront pas admis dans cette catégorie car leur handicap n'est pas avéré ou assez handicapant.
Prenons l'exemple de mon fiston, épileptique depuis l'age de deux ans, qui prends des médicaments qui permettent de contrôler l'épilepsie — ce qui veut dire que les crises sont arrêtées avant qu'elles ne se déclenchent — et qui ont pour résultat qu'il n'a pas fait une seule crise depuis plus de deux ans et demi. Remarquable bonne nouvelle n'est-ce pas ? Oui bien sûr car une crise n'est jamais anodine, elle perturbe, elle fatigue, elle fait perdre le cours des choses pendant une demi-journée ou plus. Pas facile de suivre des cours dans ces cas là. D'un autre côté les médicaments ou la maladie — il est extrêmement difficile de dire ce qu'il en est exactement — ont des effets secondaires. Parmi ceux-ci on trouve une fatigabilité importante, une difficulté pour se concentrer pendant longtemps. Pas facile de suivre des cours dans ces cas là. Pas de différence, les conséquences sont les mêmes, sauf que dans le cas ou l'épilepsie est contrôlée, l'enfant n'est pas considéré comme handicapé[2] et c'est pourquoi je préfère parler d'enfant porteur de handicap.
Dans ce contexte particulier, dans cette zone un peu vague où l'enfant navigue, une sorte de no man's land entre les enfants normaux et les enfants handicapés, entre normalité et handicap, il est difficile d'amener les éducateurs à prendre en compte leurs problèmes. Beaucoup, par manque de formation ou d'information, auront tendance en première intention à demander qu'ils soient mis dans une structure adaptée. Seulement il n'y a pas de structures adaptées pour ces cas là. Les structures existantes sont peu nombreuses et réservées en priorité aux handicapés les plus lourds ! D'autres préféreront ne leur demander que peu ou pas d'effort, pour ne pas les fatiguer, ne pas risquer la crise, sans s'en préoccuper plus que cela, ce qui revient à les exclure de fait. D'autres encore iront jusqu'à demander qu'on leur réduise les médicaments, pour diminuer les effets secondaires, parce qu'ils n'ont pas compris qu'on a aucune garantie d'obtenir un résultat satisfaisant[3]. Et pour être tout à fait honnête, il y en a qui tentent de s'investir, d'accompagner, d'adapter leur métier pour tenir compte des spécificités de ces enfants.
Le cas de mon fils n'est pas isolé. Ils sont beaucoup dans ce cas là. Pas handicapés mais presque, pas normaux mais presque. N'importe quel élève peut se retrouver du jour au lendemain dans cette situation. D'ailleurs cela arrive souvent. Il suffit d'une maladie qui cloue au lit, une jambe cassée au ski ou que sais-je encore pour que nous nous retrouvions dans cette zone. Bien sûr on s'arrange, un camarade copiera les devoirs et les leçons, un autre lui amènera tout ça à la maison, un troisième encore l'aidera lorsqu'il reviendra. Cela existe depuis longtemps et cela se passe très bien[4]. Seulement c'est pour quelques jours, quelques semaines, pas plus. Ça ne perturbera pas trop le programme. Avec un enfant constamment dans cette situation il devient difficile d'adapter l'enseignement. Une classe de trente élèves ou plus n'offre pas beaucoup de degrés de liberté pour s'arranger.
Je ne vais pas faire le procès des éducateurs. Ils ont pour la plupart envie de bien faire, de faire en sorte que les gamins deviennent plus intelligents, plus savants, mieux armés pour les années à venir. Il est aussi illusoire d'espérer, par je ne sais quel miracle, qu'on puisse apporter une solution à chaque cas. On peut tendre vers ce but et je sais qu'il y a des initiatives en cours jusque dans les ministères pour tenter de prendre en compte ce genre de problèmes. La priorité est donnée bien sûr à la formation des enseignants vis à vis de l'accueil des enfants handicapés, et ce qui est valable pour eux l'est forcément pour les autres y compris les normaux. C'est un premier pas nécessaire mais certainement pas suffisant.
Je sais qu'il est difficile de faire une école à la carte, fonction des capacités et des possibilités de chaque élève. Cela demanderait des moyens dont on ne disposera pas sauf à changer radicalement notre façon de concevoir l'éducation des enfants et à être prêt à y consacrer une part importante de nos richesses. Je sais qu'il est difficile de partager, d'admettre que ses enfants avanceront un peu moins vite parce qu'un autre freinera la classe. Je sais aussi que la structure familiale change et souvent pas à l'avantage des plus petits. Je sais surtout qu'il y a beaucoup de bonnes volontés qui font des merveilles avec peu de moyens. Il faut juste un peu d'envie !
Notes
[1] Le gouvernement a promis plusieurs centaines de postes d'aide à la vie scolaire par exemple, une louable intention à condition qu'elle soit suivie d'effets rapides car les enfants en ont besoin aujourd'hui et pas dans plusieurs mois.
[2] Le taux d'incapacité calculé pour l'épilepsie est directement proportionnel au nombre de crises. Pas de crises ? Pas de handicap !
[3] Diminuer un traitement, souvent composé de plusieurs molécules et dont la posologie a été difficilement ajustée pour obtenir un bénéfice (pas de crises) supérieur aux inconvénients (fatigue, irritabilité, difficulté de concentration, …), peut provoquer un éventail très large d'effets. De celui escompté jusqu'à la modification de la forme de la maladie avec fréquemment une reprise plus fréquente des crises. Il n'y a pas de méthode scientifique qui permette d'évaluer à l'avance l'effet de cette diminution (ou de la suppression d'ailleurs). C'est donc à chaque fois de manière empirique et une prise de risque à la fois pour l'enfant, le soignant et pour la famille.
[4] Certaines assurances ou mutuelles offrent même ce genre de service ce qui est très bien sauf que j'estime que c'est à la collectivité de prendre en charge ses situations et que cela ne devrait pas faire l'objet d'un commerce d'assurance.
1 De Janusz -
Merci pour ce point de vue qui est très représentatif de ce que peuvent vivre les familles touchés par des problèmes surmontables mais quotidiens.
Quelle dose de courage il faut pour vous tous !
2 De tadjou -
Pour ma part, je préfère parler de personnes autrement capables (sans les guillemets). Dans nos sociétés, l'handicap (porteur ou pas) sonne comme une lourde condamnation.
Merci pour votre billet.
3 De Groumphy -
Tu fais le point sur beaucoup de choses Franck. Une manière simple de dire ce que les autres penses tout bas ?
Plaisant dans tous les cas !
De ma part, je trouve déjà ridicule de mettre à part les personnes "souffrant" (le terme peut-il être correct ??) d'un handicap tant moteur que mental ou de maladie. Et comme tu le cite si bien la structure familiale est extrémement important mais malheureusement la société "moderne" ne veut laisser le temps de juste droit à ceux qui devraient.
D'où t'es venue l'idée de ce billet ? (Intéressant)
4 De Franck -
Janusz, du courage on en trouve toujours, même si parfois ça résiste en face ;-)
tadjou, il me semble que les anglo-saxons utilisent un terme qui ressemble assez à la votre ce qui est plutôt pas mal, à condition que cela ne serve justement pas de prétexte à ne rien faire.
Groumphy tu as tout à fait raison. Quand à l'origine de ce billet il m'est venu au fur et à mesure pendant ces derniers mois, en faisant le point sur notre action dans ce domaine.
5 De tadjou -
C'est marrant parce que le terme "handicap" provient certainement de l'anglais "hand in cap". Evidemment imagé : la main dans le chapeau. Quant au prétexte pour ne rien faire, je ne connais pas la politique anglaise à ce sujet, mais effectivement, je crois comme vous que nous ne devons pas tomber dans ce travers.
6 De Jean-Michel -
Malheureusement en France, c'est l'école des inégalité (et non égalité).
Malgré que j'aime pas Sarkozy, j'espère qu'il règlera pendant ses cinq ans de règne, les inégalités de toutes niveaux dans les écoles de la République.
Moi une bonne partie de ma famille est professeur. Et l'autre jour, visiblement cette année, ils ont un enfant "handicapé" parmi leurs élèves et première réaction "il va ralentir la classe"... voilà pourquoi je suis passé dans le privé.
7 De Otir -
Merci Franck de m'avoir suivi dans cette voie de l'information. Tu peux signaler à tes lecteurs, je pense à Tadjou que j'avais justement fait un billet à partir de la définition "hand-in-cap" qui a bel et bien donné le terme.
Et puis, qu'il ne faut pas trop rêver, que cela n'a jamais été un président de la république qui permette de réduire les inégalités, ça se saurait, et ce sont surtout les gens sur le terrain - comme Franck et ceux qu'il représente - qui font tout le travail (ou pas, à preuve l'anecdote que Jean-Michel rapporte).
Franck, le terme c'est differently abled, dont je parlais moi aussi. Le problème, c'est qu'en français, la langue est beaucoup plus figée - pour tout un tas de raisons, c'est donc nettement plus délicat de faire évoluer les mentalités, à partir de la façon dont on parle, ce qui n'est pas tout à fait le cas avec l'anglais, un avantage parfois difficile à comprendre en France, qui est très à cheval sur la "pureté" langagière...
8 De Franck -
Merci Otir pour toutes ces précisions.
9 De Mika -
Jean-Michel, j'ai hélas entendu des choses du même ordre de la part d'enseignant (privé ou public, cela ne change rien à l'affaire, quand on est c..., on est c... comme disait Brassens).
C'est aussi pour ça que j'ai choisi d'entrer dans le Mammouth et de ne rater aucune occasion de réagir quand j'entends des inepties pareilles...