J'ai très longtemps habité près d'un pont SNCF, tout au nord de Paris. Un pont très noir, qui tremblait au passage des trains de marchandises, un pont que j'aimais. Comment pouvait-on aimer un tel amas de ferraille, lui trouver un quelconque charme ? Sans aucun doute, je devais être le seul dans ce cas.
Pourquoi vous parle-je de ça ? Simplement parce que c'est à peu près à cette époque que j'ai fait la connaissance des pourpres. Enfin, faire connaissance
c'est beaucoup dire vu que je ne les ai jamais vus. Simplement une succession de messages, de signes, d'énigmes par toujours faciles à résoudre que je découvrais dans ma boite aux lettres ou dans mon cartable le matin et puis un beau matin de printemps il y a eu ce coffre pourpre dans le coin de ce meublé humide où je logeais à ce moment.
Ça fait maintenant trois ans qu'ils me proposent des expériences grâce au coffre. De temps en temps il se met à pulser de cette couleur pourpre qui donne l'impression qu'un néon clignote doucement au dehors. Ce n'est jamais régulier, parfois deux ou trois fois dans la semaine, parfois rien pendant plus de dix jours. Je n'ai pas remarqué de cycle particulier. Seulement à chaque fois, six heures plus tard, je trouve quelque chose dedans.
Je me souviens du premier test. Il s'agissait d'un questionnaire écrit en espéranto — j'y ai passé deux jours uniquement pour le traduire — sur ma vie courante et sur celle des rats d'égouts. J'ai répondu sincèrement et en français, en me demandant quelle pouvait être la relation entre moi et ses rongeurs des villes. Je l'ai remis, un peu raturé et froissé, dans le coffre. Le lendemain il n'était plus là. Le coffre est resté vide pendant une semaine. Puis j'ai eu droit à quelques gadgets pendant quelques mois, comme celui qui ''coupait'' les sons. Je l'aimais bien celui-là, je l'aurais bien gardé pour moi. D'ailleurs j'aurais peut-être du le faire, mais je ne sais pas du tout comment ils auraient réagi. Dans le doute j'ai préféré le remettre.
Ça dure donc depuis quelques années et je ne sais toujours pas comment ils sont, comment ils font. Je me lève tout les matins et mon premier réflexe est d'ouvrir le coffre, pour vérifier son contenu. Je garde ça pour moi, avec le sentiment un peu grisant d'avoir été choisi, d'être un élu. Si ça se trouve nous sommes des milliers, si ça se trouve je suis le seul. Je préfère imaginer que je suis le seul. Alors je fais ce que j'estime nécessaire pour le rester. Je n'en parle pas, sauf pour écrire dans mon journal mes impressions. Au cas où, on ne sait jamais.
J'ai trouvé du travail, assez facilement. Un autre logement plus clair et moins humide que le précédent. Je suis quasiment sûr qu'ils y sont pour quelque chose mais sans pouvoir le prouver. Juste une impression. D'ailleurs le jour où j'ai visité mon deux-pièces actuel, j'avais bien remarqué le coffre pourpre dans le coin de la cuisine, derrière la porte. Je n'avais rien dit à la femme de l'agence, espérant qu'elle n'avait rien remarqué, mais j'ai tout de suite donné mon accord, malgré la différence de loyer. Je n'ai pas eu besoin de le déménager.
De temps en temps je retourne près du pont SNCF. Je cherche des signes, des indices. Mais rien à part ce ruissellement d'eau qui fait rouiller les poutrelles branlantes qui menacent de tomber à chaque passage d'un train. Cette eau légèrement teintée, pourpre …
Ce billet n'est plus une participation au jeu du sablier d'automne de Kozlika et Samantdi.
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1 De Otir -
La saga des pourpres... joli fil !
2 De Marie-Aude -
Belle ambiance :) J'attend la suite avec impatience
3 De Thygo -
Je prends de plus en plus goût à ces histoires, ni trop courtes, ni trop longue. C'est très intriguant et captivant. Il faudrait que je prenne le temps de remonter dans ton blog.
4 De Franck -
Merci à tous, ça fait plaisir de lire le plaisir des lecteurs.
Je vais essayer de continuer le sablier dans la même veine, en gardant un fil tout au long des jours et quelque soit l'accroche proposée. Je ne suis pas sûr d'y arriver, on verra bien …
5 De Franck -
Thygo, si tu veux un peu d'aide pour remonter dans le passé de ce blog, tu peux t'aider de ce billet qui regroupe une petite sélection de billets importants pour moi ou encore de celui-ci où je liste mes chroniques ferroviaires.
6 De samantdi Maître Capello -
Attention, ce billet est en contradiction avec l'une des règles du jeu qui interdit "le coq à l'âne"...
La loi est dure mais c'est la loi ;-)
7 De Franck -
Tout le reste du billet ? Chaque paragraphe ? Car je reviens sur le logement près du pont et du pont lui même dans les deux derniers.
Ceci dit, puisque j'ai fauté, je retire ma participation. Dommage le jeu me plaisait bien.
8 De Kozlika -
Pitêtre que Samantdi n'a pas poursuivi plus loin sa lecture après avoir vu que ça semblait sauter du coq à l'âne entre l'amorce et la suite sans repérer qu'ensuite le pont revenait. L'effet boomerang n'est pas interdit :-D
9 De Franck -
J'espère qu'elle ne corrige pas les copies de ses élèves de la même façon :-/
10 De gilda -
Les règles et des lois, dans la vie il y en a bien assez comme ça, ce qui compte est que le texte est bon, et celui-là l'est. J'en veux bien, moi, si Samantdi elle en veut pas.
(et puis ça serait trop bête que ça t'empêche de travailler sur les autres accroches et que ça nous prive nous du plaisir de te lire).
11 De yo -
La suite la suite ! C'est un vrai plaisir de passer sur ton blog, un jour une photo, un autre une histoire, une anecdote ou une reflexion qui m'accompagne toute la journée. merci.
12 De Franck -
C'est sûrement présomptueux mais j'aime de plus en plus ce qu'est devenu ce blog, ce Moleskine™ électronique.
Merci de venir, de lire et d'apprécier.
13 De Thygo -
Merci Pour les liens. Je les ai coller ailleur, là ou je pourrais les retrouver aisément et m'en délecter plus tard.