La fenêtre

Ce matin, entre Adler et Duhamel, l’immuable créneau de ma douche d’avant départ au boulot, agitant mes mains ensavonnées je fais tomber mon alliance. Je la remets aussitôt mais avec beaucoup de difficultés qui me seront l’occasion de plusieurs vagues d’interrogation lors des minutes et heures suivantes, du séchage aux rebutantes tâches journalières et néanmoins professionnelles.

Je perds du poids, depuis plusieurs jours je vois l'aiguille de la balance qui met de moins en moins de temps à s'arrêter. Elle a marqué 50 la semaine dernière, puis 48 dimanche soir et enfin 47 ce matin. Mes gestes sont maladroits, je tremble sans pouvoir me contrôler. Pourtant je ne me sens pas malade, je mange correctement, en tout cas j'en ai l'impression. Va falloir que je me décide à aller voir le toubib. Un jour, bientôt.

Je crois qu'il s'est aperçu de quelque chose mais il ne dit rien lorsqu'il vient se raser. Je le vois dans ses yeux qu'il s'inquiète mais il ne dit rien. Pas encore en tout cas. Il m'annonce un énième congrès, un rendez-vous manqué, sa carrière, ses soucis de tous les jours. Je l'écoute d'une oreille distraite. J'écoute Adler et Duhamel d'une oreille distraite. J'écoute le monde d'une oreille distraite.

J'enfile mon pantalon, un tee-shirt en lin que j'adore et dix fois trop grand pour moi, mes ballerines et mon sac. Je crie au revoir, à ce soir et je claque la porte. Je n'ai pas entendu sa réponse, je ne sais pas s'il a répondu, s'il a même entendu. Ce n'est pas grave. De toute façon c'est mieux comme ça. La glace de l'ascenseur me renvoie l'image d'une fille maigre, à la pâleur accentuée par le manque de maquillage — je n'ai jamais le temps le matin — et les cernes sous mes yeux. Comme d'habitude je piquerai la petite trousse de première urgence de Coralie, comme elle dit.

Je lui parlerai encore de cet homme que j'ai croisé l'autre jour. Celui qui avait un casque sur les oreilles et qui parlait à haute voix. Il avait un regard étrange, comme un illuminé et ses paroles étaient incompréhensibles. Il ferait peur à beaucoup et pourtant il m'attire. Je ne me l'explique pas. Il n'est pas beau, pas moche non plus. C'est autre chose. Il possède quelque chose que je ne comprends pas. Pas encore. J'aimerai lui parler mais je n'ose pas.

Hier soir, juste avant de rentrer dans mon immeuble je l'ai regardé se diriger vers chez lui, en face. Je le sais depuis que je l'ai surpris par la fenêtre de sa chambre en train de briser un objet. Je n'ai pas bien vu ce soir là. Depuis lors, de temps en temps, je distingue une lueur dans la nuit, quand je me lève épuisée de ne pas pouvoir dormir. Une lumière très douce, qui provient de sa chambre, très reposante, et qui éclaire son visage lorsqu'il se penche devant la fenêtre. Une petite lueur pourpre …


Ce billet est ma participation au jeu du sablier d'automne de Kozlika et Samantdi.

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