Oliv et le bateau - Légende

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Les quatre jeunes amis purent se restaurer à volonté dès qu’ils furent installés sur la longue table qui se trouvait à l’angle de la petite auberge. Visiblement le vieux sage devait être une personne importante car dès qu’il fût entré dans la pièce, un silence religieux s’installa et le patron, un vieil homme tout ridé et encore plus petit que lui se présenta avec déférence :
« Maître ? Si vous voulez bien prendre place à cette table, c’est la meilleure de ma modeste maison !
– Venez les amis, dit le nain en se tournant vers les garçons qui passaient à peine par la porte d’entrée tellement celle-ci était petite et étroite, venez vous restaurer !
– J’apporte à boire et à manger sans délais, continua le patron de l’estancot avant de repartir à vive allure vers sa cuisine.»

Ils burent et mangèrent tous autant qu’ils purent, tellement que l’assistance qui avait fini par reprendre ses discussions les observait maintenant sans dire mot. On entendait parfois un murmure qui disait « Vous avez vu comme ils sont grands et forts ? », ou bien encore « Mais à ce train là ils vont épuiser les réserves de ce pauvre Agmar ! ». Agmar, le propriétaire de l’endroit, s’affairait sans relâche pour fournir de quoi boire et manger à la tablée. Pendant ce temps, ayant bu une gorgée d’un liquide ambré servi dans un petit verre étroit, le vieux sage les observait en silence. Soudain il prit la parole de la même voix grave qu’auparavant :
« Alors dites-moi ! Pourquoi êtes-vous venus dans cette île ?
– Et bien on nous avait parlé d’un trésor caché que personne n’avait encore trouvé et un vieil elfe nous a indiqué l’endroit ! Répondit Oliv qui venait de terminer son assiette et qui était en train de replonger la louche dans la marmite fumante qui se trouvait devant lui.
– C’est un long et périlleux voyage, l’océan recèle quelques dangers, surtout à cette saison, mais surtout la montagne n’est pas sûre, depuis longtemps, personne ne vous a donc mis en garde auparavant ?
– Non, continua Oliv, et puis je voulais vraiment découvrir ce pays qu’on disait étrange ! »

Le vieux nain hocha alors doucement la tête puis commença à leur raconter l’histoire de la grotte et du tunnel :

C’était il y a bien longtemps, beaucoup plus longtemps que les anciens peuvent se souvenir, beaucoup plus ancien que les anciens des anciens ont pu leur raconter. Une époque si éloignée que les pierres l’ont oubliée. En ce temps là, cette île était inhabitée, pourtant elle ressemblait à ce que vous avez pu rencontrer en venant par ici. Seuls de nombreux animaux, certains très étranges et qui ont disparu depuis, occupaient la partie centrale à l’abri des nombreuses tempêtes qui venaient frapper la côte.

Un jour de grande tempête, un bateau échoua sur la grève. C’était une sorte de grande galère, munie de rames et d’un mât imposant mais qui n’avait pas résisté à la violence des vents. Les rames, qui avaient été rangées en soute au début de la tempête, flottaient maintenant dans le fond. Seuls deux couples de nains, de la région de Muldhryn — les grandes montagnes du nord —, étaient encore vivants sur le pont lorsque le bateau s’enfonça finalement dans le sable. Ils récupérèrent ce qu’ils purent dans le bateau et s’enfoncèrent alors dans la forêt pour se trouver un abri. Peu à peu, il finirent par construire une maison, puis une seconde, eurent beaucoup d’enfants et la vie s’installa alors au centre de cette île, sur le versant nord de la montagne Mordrée.

Un jour, bien plus tard, alors que les premiers naufragés avaient depuis longtemps disparus, un autre bateau quasiment identique à la première galère, s’échoua de la même façon après une violente tempête. Dans celui-ci, deux nains seulement avaient réussi à survivre en buvant un peu d’eau de mer et en économisant le rare poisson séché qu’ils avaient emporté. Ils trouvèrent rapidement le village qui avait grandi peu à peu depuis la première maison qui servait maintenant de salle commune et de spectacle. Seulement ces deux gaillards — ils dépassaient largement d’une tête le plus grand des habitants de l’île — ne voulaient pas se soumettre aux règles et coutumes de l’endroit. Au bout de quelques mois, ils décidèrent de partir s’installer ailleurs accompagnés de quelques malheureux crédules qui avaient la boisson facile. C’est ainsi qu’un deuxième village fut bâti de l’autre côté de la montagne Mordrée, sur son flanc sud.

Les années passèrent ainsi, et chaque village fini par ne plus penser à celui qui se trouvait de l’autre côté. Jusqu’au jour où Loïc-le-Noir, un des plus forts nain du sud qui était devenu naturellement leur chef, décida de faire la guerre à l’autre village pour s’accaparer leurs femmes et leurs enfants pour en faire des esclaves et pour dérober tous leurs trésors. La bataille dura des années, pendant lesquelles les chefs se succédèrent et ou tantôt l’un, tantôt l’autre village gagnait terrain et avantage. Nombreux furent les morts et les blessés et tous les métaux finirent par être fondu pour fabriquer lances, épées, boucliers et grenades. C’est pendant ces sombres temps que la grotte de Mont-Quatre fut creusée pour abriter des munitions et des armes. C’est aussi à ce moment là qu’un des chefs du village du nord prit la décision de creuser un tunnel à travers la montagne pour surprendre le village ennemi. Il ne fut jamais terminé car des évènements étranges s’y produisirent, provoquant paniques et grandes peurs dans tout le wallon proche. On l’appelle depuis le tunnel du Wallon-Peureux.

Finalement, il y a quelques siècles, les nains du sud et du nord finirent par oublier la raison de leur conflit et découvrirent qu’ils n’avaient aucune raison de s’en prendre aux autres, et deux sages de chaque village furent désignés pour négocier la paix. Les débats ne durèrent pas une minute car à peine s’étaient-ils assis qu’ils partirent tout les deux dans un grand fou rire qui se propagea à toute l’assemblée. Les armes, les boucliers, les munitions et les fortifications furent détruites — on n’en trouve quasiment plus aucune trace de nos jours — et un grand commerce s’installa entre les deux contrées.

Voilà l’histoire qui s’est propagée d’oreille de nain à celle de marin, de celle de marin à celles des elfes et qui a probablement été beaucoup enjolivée au passage. S’il n’y a qu’une leçon à retenir de cette légende — car on ne sait plus aujourd’hui si tout cela s’est réellement passé — c’est qu’il vaut mieux se garder des envies trop pressantes et prendre plutôt soin de ses amis !

Sur ces mots le vieux nain se leva, les observa tous un après l’autre, hocha la tête doucement et ressorti de la taverne. Les quatre garçons le regardèrent partir en silence. Quelques minutes passèrent ainsi, pendant que chacun se remémorait ce que venait de dire le vieux sage.

Soudain Oliv attrapa son verre, le vida d’un trait, le reposa et dit à ses compagnons :
« Vous savez ? Je ne crois pas que je vais rester sur cette île. Je vais rassembler qui voudra et nous armerons de nouveau le bateau qui nous a emmené jusqu’ici. Je veux retourner chez moi, au pays des elfes.
— Je viens avec toi, dit aussitôt Tor qui venait lui aussi de vider son verre.
— Alors dans ce cas, donnes-nous tes ordres, nous te suivrons, dit Lo en tendant sa main à Oliv, aussitôt imité par Bul …
— Et nous alors ? Pouvons-nous nous joindre à vous pour le voyage du retour ? Tonna une voix à l’entrée de l’auberge … »
Oliv se retourna d’un bond et reconnut son ancien compagnon de sa première tentative, Pépin lui-même, qui arborait un grand et large sourire.

Les deux hommes s’embrassèrent, heureux de se retrouver enfin et passèrent ensuite un long moment à raconter leurs aventures. Après plusieurs heures animées, où ils burent encore et mangèrent comme des ogres, ils finirent par tomber d’accord sur la meilleure façon de rentrer chez eux. Rendez-vous était pris dès le lendemain, à l’aube, pour commencer les travaux nécessaires à l’agrandissement du bateau. Il y avait du travail pour tous pour en faire un navire suffisamment grand et solide pour emporter tous les amis et ce qu’ils souhaitaient ramener dans leur pays.


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