Tout est calme, reposé, entends-tu les clochettes tintinnabuler ? Voilà ce refrain de cette petite chanson enfantine qui me revient au milieu de cette nuit alors que je me suis réveillé. Trois heures du matin. La ville dort, paisible. Quelques lumières égayent timidement quelques immeubles alentour, mais dans l'ensemble, c'est la pénombre qui prévaut. Parfois une pétarade ou le vrombissement d'une voiture ou d'une moto vient troubler le pseudo silence ambiant. Il y a du bruit, toujours, mais diffus, on ne finit par ne plus y faire attention. J'ai remarqué cela dans les villes, comment nous finissons par considérer comme un silence presque parfait ce qu'on appellerait cacophonie dans n'importe quel coin reculé d'un désert ou d'une montagne.
Je me souviens de cette chanson, qui tournait souvent en boucle dans cette bibliothèque un peu particulière qui se trouvait juste à côté du collège. C'était un assemblage de préfabriqués avec quelques baies vitrées qui s'appelait biblioclub si ma mémoire ne me fait pas défaut. Nichée au milieu d'un parc, au milieu de grands arbres qui fournissaient une ombre quasi permanente. J'y venais souvent, parfois accompagné de mon frère, pour me vautrer dans les poufs — vous savez, ceux remplis de billes — et les coussins pour y lire et dévorer tous les livres et parfois quelques bandes dessinées que j'aimais. Nous pouvions y passer l'après-midi sans faire la moindre attention au temps qui passait, tout entiers pris par nos lectures. Je me souviens entre autres d'une BD de Jean Giraud, Mœbius, que j'ai bien du lire une centaine de fois au moins tellement j'aimais sa façon de dépeindre des univers fantastiques.
C'était alors un temps où j'en passais le moins possible à la maison. Incompatibilité d'humeur dirons nous entre ma mère et moi, du coup comme elle avait le privilège de l'âge — et de la distribution de paire de claques facile — je préférais m'éclipser en douce avant qu'elle ne me trouve une occupation absolument indispensable. Je me souviens du sempiternel Ne reste pas sans rien faire …
et invariablement elle me trouvait une corvée qui saurait pour sûr occuper mon temps libre. Pas libre justement, enfin pas à la maison. Il fallait l'employer à quelque chose, ne pas rester allongé sur le lit à rêver, ou alors faire semblant d'être occupé à quelques devoirs scolaires importants, les seuls qui ne souffraient en général pas de la sanction. N'allez pas croire que je cherchais à échapper à toute aide donnée à la maison. Que non ! Nous avions chacun notre lot hebdomadaire, qui de mettre la table et de la débarrasser, qui de vider le lave-vaisselle, nous faisions nos lits, parfois faisions les vitres, faire quelques courses, enfin ce que tout gamin de nos âges pouvaient raisonnablement effectuer.
J'ai passé beaucoup de temps dehors, à attendre, à parler, parfois jouer au tennis — mais il faut dire que mon frère cadet me battant régulièrement, je n'étais guère enclin à aller taper quelques balles. Et puis le tennis, pour tout dire, … — ou bien encore ces fameuses parties de roller-croquet lorsque nous étions suffisamment nombreux. Le roller-croquet, une sacré invention. Laissez-moi vous dresser le décor et vous expliquer l'enjeu. Il y avait dans cette résidence où nous étions alors, une pataugeoire triangulaire, donc les coins étaient arrondis et qui faisait un bonne quarante centimètres de profondeur. Mes yeux d'enfant, quasi adolescent, la voyait grande d'au moins dix mètres pour chaque côté, elle fait peut-être moins ou plus je ne sais pas vraiment. Elle n'avait jamais été mise en eau — nous ne saurons jamais pourquoi — par contre elle était munie d'un revêtement idéal pour nos patins à roulettes. Nous formions alors trois équipes, avec chacune un gardien qui allait se camper dans un des coins. Chaque joueur était équipé d'une batte de croquet — vous savez ces instruments à long manche dont on se sert pour taper une balle en bois généralement à travers des petites portes métalliques fichées dans le gazon — et nous nous disputions pendant des heures une balle de tennis. Vous vous rappelez le film Rollerball
? Eh bien c'était ça, en moins sanglant, quoique parfois la peau des mains, des coudes ou des genoux disparaissait à la faveur d'une chute ou d'un frottement sur le rebord de la pataugeoire. Parfois deux équipes se liguaient pour vaincre la troisième, parfois même les accords conclus changeaient en cours de route, à la faveur d'une opportunité de but, mais souvent cela ressemblait plus à une foire d'empoigne qu'à une partie de jeu proprement dite.
Tout est calme, reposé, entends-tu les clochettes tintinnabuler… Une brise légère entre par la fenêtre de cette nuit d'été — l'été que nous attendions tous avec impatience et espoir — et vient rafraichir la pièce. Quatre heures du matin. Je continue de voir défiler des images anciennes que je ne pensais pas retrouver un jour. Celles d'un voyage effectué alors que je venais tout juste d'obtenir ma majorité. Celles d'une salle commune où il m'arrivait, lorsque c'était mon tour, de passer une machine autour des tables pour nettoyer le sol, ces grosses machines qui lavent et rincent comme celles qu'on observe dans les grandes surfaces. Je me souviens qu'il fallait travailler tôt, très tôt, pour éviter de gêner ceux qui venait petit-déjeuner avant d'aller travailler dans les champs, pendant que le soleil n'était pas trop agressif. Ensuite, j'avais quartier libre pour le reste de la journée.
Ce moment de la nuit est paisible. Je peux écrire sans hâte, sans précipitation, au gré des envies, des images ou des pensées qui me viennent. Souvent, je m'arrête de taper sur le clavier, pour prendre le temps de me retourner un peu vers l'intérieur, pour observer un peu ce qui s'y passe. Parfois au contraire, un mot en entraine un autre et tout un paragraphe se construit sans la moindre pause. Je me demande souvent comment les écrivains usent de leur temps pour œuvrer. Préfèrent-ils la nuit au jour, tout écrire d'une traite ou presque ou alors petit à petit, patiemment, bâtir l'ensemble. J'imagine qu'il n'y a d'autres règles que celles que l'artiste s'impose.
Tout est calme, reposé, entends-tu les clochettes tintinnabuler… La clochette justement qui me rappelle qu'il faudrait que je retourne me coucher pour profiter encore du temps qu'il reste pour récupérer un peu malgré cette insomnie constante. Mes meilleures nuits durent cinq heures, parfois six, mais souvent entrecoupées de réveils plus ou moins longs comme ce matin. Le jour ne point pas encore mais il ne saurait tarder, je le sens. Signe qu'il faut que j'essaye de refermer les yeux avant.
Tout est calme, reposé, entends-tu les clochettes tintinnabuler…
1 De mirovinben -
"Tout est calme, reposé, entends-tu les clochettes tintinnabuler…"
"Petit Garçon", chanson de Graeme Allwright que j'aimais jouer à la guitare autour d'un feu de camp. C'était dans une autre vie.
2 De femme -
Graam allwright... c'est un chant de noël... J'adore cette chanson. Jolis souvenirs, ton fils sera heureux de les relirent plus tard je pense. (petite correction : "...on ne finit pas ne plus y faire attention. ")
3 De cleanettte -
Ah les insomnies: malédictions qui vont provoquer fatigue et difficulté d'attention la journée, mais moments bénis pour vivre un moment rien qu'à soi, sans perturbation, et pouvoir au choix révasser ou laisser son esprit faire le point sur les difficultés du moment.
4 De Chty -
Pfiou, en lisant ca, j'avais l'impression d'être dans un film. Genre les films naratifs où il y a une voie qui raconte pendant qu'on en voit les images. merci \\o/
5 De gilsoub -
J'ai la chance de ne pas connaître ce que les autres nomme insomnie, encore plus dans les période troublé de ma vie... Le sommeil chez moi est un refuge, c'est bien pratique des fois ;-) Sinon pour l'écriture, je croit qu'il n'y a pas de règle que celle que tu t'impose, celle qui vont bien pour toi. Peu importe comment les autres font, de toute façon cela ne sera pas bien pour toi ;-)
6 De saperli -
ceci explique celà, ta relation avec ta mère me fait mieux comprendre dans quoi tu as pu te laisser enfermer... La lecture, quel moyen formidable pour un enfant, de rêver son avenir !
7 De Anthom -
"Petit Garçon" de Graeme Allwright, c'était la berceuse que je chantais à mes filles...Allwright, Dasté, c'était des noms qui disaient la liberté...on savait pourquoi on vivait! souvenirs, souvenirs....
8 De la belle bleue -
Pour ceux qui souhaitent entendre cette jolie berceuse de noël, rendez-vous ICI