Mémoire d'ancêtre

J’ai un ancêtre, dont je porte le prénom en deuxième qui était capitaine au long-cours et avait participé entre autre à la croisière noire en Afrique. De tout temps, dans ma famille on en tirait fierté en parlant de son journal de bord — qui à ce jour est quelque part chez des cousins éloignés en Belgique — et de ses aventures, sans oublier de préciser qu’il avait une sépulture au Père-Lachaise à Paris, cimetière mythique s’il en est[1]. Alors forcément avec l’imaginaire d’un gamin comme moi, féru de romans et de légendes, je ne pouvais qu’être admiratif devant son parcours.

Aujourd’hui, alors que j’ai perdu tous les liens ou presque avec cette partie de la famille, pour des raisons aussi diverses que variées, je me demande pourquoi j’éprouve le besoin de revendiquer cette affiliation, comme si la vie de cet homme, depuis longtemps disparu, pouvait avoir des répercussions sur la mienne, m’apporter un avantage particulier que d’autres n’auraient pas, une aura, un intérêt, que sais-je encore. J’ai l’intuition que cet héritage s’il en est, ne m’est pas de grand secours pour m’aider dans ma vie. Alors s’agit-il d’une façon d’honorer cet ancêtre et sa mémoire, et pourquoi se sent-on tenu de le faire ?

Je comprends qu’on perpétue l’histoire d’une nation, d’un groupe, d’un clan, car cela explique et parfois justifie les règles et conventions auxquelles nous nous soumettons pour vivre ensemble. Mais à l’échelle d’un seul homme ? Qu’apporte le récit de sa vie ? Je ne veux pas dire qu’il faut oublier, l’oublier, simplement qu’il est le seul, parmi mes ancêtres de sa génération pour lequel sa mémoire a été conservée et retransmise. Pourtant sur l’arbre généalogique qui me concerne il se trouve en compagnie de sept autres personnes. Qui sont-elles ? Pourquoi n’en parle-t-on jamais, pourquoi la banalité de leur vie fait qu’il devient inutile de s’en souvenir. Pourtant si l’un d’entre eux n’avait pas existé, je ne serais pas là en train de vous en parler.

Alors oui c’est plaisant ou amusant de dire que mon goût pour l’océan est héréditaire. Oui j’aimerais lire son journal de bord, au moins pour l’aspect historique de son parcours, pour découvrir comment ils [les occidentaux de cette époque, au début du vingtième siècle] considéraient les autochtones qu’ils rencontraient au fur et à mesure de leur parcours. Mais en aucun cas pour en tirer quelconque gloriole. Je trouve curieux la sélectivité de la mémoire des ancêtres, de la mémoire familiale, comme s’il fallait ne conserver que les ors et les trompes et éviter de parler du reste, quand bien même il serait commun.


Initialement publié le 15/08/2008

Notes

[1] Je n’ai aucune information sur la véracité de l’endroit où il repose réellement, mais la sépulture familiale au Père-Lachaise existe bel et bien et fait l’objet d’une rivalité féroce entre les différentes branches de cette partie de la famille pour en conserver l’usage. C’est en tout cas ce que j’en ai retenu.

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