Semaine

Lundi, je fus pris d’un grand coup de blues. Alors je suis allé faire un tour du côté de mes balades adolescentes.

D’habitude le lundi je n’ai pas de coup de blues. Le lundi, je me lève avec peine, surpris d’avoir encore passé un week-end qui a fuit comme l’ouragan. Où sont passées les heures passées à les contempler, à feignasser, à se lover dans les draps encore tièdes de la nuit passée ? Fichu lundi qui annonce une semaine entière d’hypocrisie, de ronds de jambe et de “ça va bien, merci” bien hypocrites, en tout cas les miens. La journée du lundi est la plus longue de la semaine, c’est mathématique. J’ai soigneusement compté dans ma tête toute la journée, les moments à compter justement les jours qui restent. Fichu lundi que le lundi, vivement mardi qu’il y ait du changement, que le décompte soit engagé, vivement le soir pour rentrer, retrouver enfin les draps froissés.

Mardi, j’ai surpris le gendarme qui roulait sur la pelouse. Alors je me suis précipité au commissariat déposer une main courante.

D’habitude le mardi n’est pas comme le lundi. D’abord parce que le mardi je pense moins à compter dans ma tête les jours qui restent. Le mardi souvent je me dis tous les projets que j’envisage pour le week-end, tout ce qui peut ou sera enfin dans ce temps là. Et puis je réfléchis aussi à la manière dont je pourrais occuper le reste de l’après-midi car le matin est déjà passé. C’est curieux un mardi matin, je ne le vois pas passer, c’est très curieux. Par contre l’après-midi est plus long que celui du lundi, c’est très étrange. Le mardi c’est aussi le jour du stylo rouge, celui qui sert à corriger les copies, les copies du mardi.

Mercredi, j’ai déchiré ma très vieille blouse. Alors je suis allé au marché en acheter une aux couleurs éclatantes.

Le mercredi est béni, béni pour les autres, les petits. Moi je suis trop grand avec mon costume, mes lunettes, mon chapeau et mes brodequins. Le cartable est resté posé sur le bord du bureau dans cette salle de classe que je connais par cœur depuis le temps. Les copies du mardi ont débordé sur aujourd’hui. Elles sont encombrantes. J’ai souvent envie de les garder pour le lendemain mais je sais bien que j’irai au bout, je ne suis pas encore passé de l’autre côté, du côté de ceux qui ont renoncé. Pourtant ils mériteraient des coups de pied au fondement, des coups de règle sur le bout des doigts, ces chenapans. Ils mériteraient.

Jeudi, j’ai demandé à ma voisine qu’elle la recouse. Alors je me suis surpris à la trouver épatante.

Ils sont de retour les forbans. Les copies sont à distribuer, c’est l’heure de ma revanche. Pendant quelques minutes je vais leur en montrer comment il faut composer. Des cancres, des bons-à-rien, bande de garnements. Ma voisine est passée devant la fenêtre, je l’ai vue glisser un regard tout en marchant. Je crois que samedi qui vient sera le bon moment, au marché, mais pas comme hier, où le gendarme m’a entrepris alors que j’hésitais devant le prix. J’ai payé pour m’en débarrasser et ai prétexté un rendez-vous. Complicité d’homme échangée d’un clin d’œil, j’espère qu’il a compris. Je suis reparti. Demain c’est la sortie du trimestre, chez le fermier pour contempler. Je songe déjà à la prochaine rédaction que je veux leur faire écrire. Il file le jeudi.

vendredi, je suis tombé en marchant dans une bouse. Alors je me suis vengé de manière indécente.

Le vendredi est le plus long, presque aussi long que le lundi. Pourtant le car a été vite, en moins d’une heure nous y étions. Mes vieux godillots sont tout crottés. Évidemment ! Je ne l’avais pas vu et pourtant. Les gamins se donnait des coups de coude depuis longtemps, pendant qu’on écoutait le gaillard nous expliquer la traite et le vêlage. Les salopiots, ils verront de quel bois je me chauffe, je leur réserve un devoir pour ce week-end. Fallait pas me pousser dans mes retranchements. Le vendredi passe lentement, mais je savoure tout ce temps. Je sais que viennent deux belles journées, même s’il pleut ou qu’il vente.

Samedi, j’ai parié au tiercé sur le douze. Alors je suis allé faire un four avec la gagnante.

Samedi j’ai été sonner. Au petit portillon elle m’a ouvert. Elle a sourit puis a pâli quand je lui ai dit tout mon émoi. Elle est retourné à son ouvrage et est revenue avec un paquet enveloppé dans du papier craft. Elle me l’a tendu, je l’ai ouvert délicatement puis j’ai aperçu le tissu rêche et gris. Ma blouse, mon fétiche. Pour sûr la semaine prochaine passerait plus vite, elle passe plus vite avec la grise. Je l’ai enfilée et ai glissé mon stylo rouge dans la poche sur le côté, je suis entré. La porte doucement s’est refermée.

Dimanche, je fus pris d’un petit coup de blues. Alors je suis allé faire un tour du côté de mes amours adolescentes.

Ses draps sont froissés. Les souvenirs de mon temps d’enfance glisse dans ma tête pendant que je l’observe. De l’eau frémit dans la casserole, le café va être prêt. Une grande tartine de pain bi est là, posée sur un petit plateau émaillé. Une motte de beurre salé et un petit couteau à manche d’ivoire. Elle me regarde pendant que les copies volent autour de moi. C’est décidé ce matin-là, je n’irai pas demain là-bas. Et puis elle rit de voir cette pluie de papiers volants. Elle revient vers moi tout doucement, me prends la main et je l’attire…


Texte écrit à l’occasion des sabliers givrés de Kozlika, dont l’entame du grain 2, choisie par Malgven, provenait d’un billet de Zub sur son blog, Nostalgie :

Lundi, je fus pris d’un grand coup de blues. Alors je suis allé faire un tour du côté de mes balades adolescentes.

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