Oups, ça fait bizarre, non ? Avant, il me parlait de mon succès assuré en amour, de mon impatience coupable au travail, de mes relations sociales asymétriques et là, une citation sur les gens qui se croyaient indispensables. Finalement rien de tout ça n’est arrivé. Mon alter-ego, appelons-le ego pour faire simple, je lui faisais entière confiance jusqu’à ce jour. Comment avais-je pu être si naïf ? J’ai toujours éprouvé la plus grande confiance envers les gens, les considérant foncièrement altruistes, gentils, soucieux des autres, capables d’empathie mais je dois me rendre à l’évidence, ce n’est pas le cas, ce n’est quasiment jamais le cas. Un seul moteur les meut, l’égoïsme, moi d’abord les autres ensuite, et encore, s’il en reste !
Je me souviens du premier jour où je suis rentré dans son cabinet. La panoplie classique du réducteur de tête avec le canapé défoncé dans un coin, recouvert d’un très vieux plaid élimé pour le protéger, la bibliothèque emplit d’ouvrages aussi divers que variés, j’y ai remarqué un jour une encyclopédie sur les pratiques amoureuses chez les zoulous, c’est dire. Les deux ou trois bibelots, dont je me suis toujours demandé s’ils lui avaient été offerts par ses patients ou s’ils participaient de la thérapie ou de l’ambiance nécessaire à l’épanchement. Il était étrange cet homme, étrange parce que je n’ai jamais su s’il comprenait ce que je lui disais. Étrange aussi lorsqu’il prenait la parole, souvent après m’avoir écouté parler pendant une demi-heure, comme pour indiquer la fin de la séance. Avais-je parlé un jour de ma situation insupportable au boulot qu’il m’engageait à réfléchir, pour la prochaine séance, à la manière dont je parlais de mes conquêtes amoureuses. Et lorsque je parlais justement du désert auquel ressemblait mon parcours sentimental qu’il me parlait d’argent.
Ce n’est que quelques années plus tard, à peu près un mois avant que je ne décide de mettre un terme à cette thérapie, que j’ai fini par comprendre. J’ai fait une petite enquête, ouvert un cahier et ai remonté le fil, semaine après semaine. J’avais obtenu l’autorisation du journal pour venir consulter leurs archives et j’ai passé beaucoup d’heures à pointer et recouper. Petit à petit l’évidence s’est révélée. C’est avec fierté et une petite pointe de colère que je me suis présenté pour la dernière. Ce jour-là, il avait forcément du voir que j’étais différent dans mon regard, il ne m’a pas proposé de m’allonger. Non, il m’a désigné le fauteuil devant son bureau et est retourné s’asseoir sur le sien, puis il m’a dit “Je vous écoute.”. Patiemment j’ai déroulé mes preuves, mes indices, mes convictions. Il n’a pas dit un mot, pas un seul, tant que je n’ai pas eu terminé. Puis il s’est levé, a sourit, et en me raccompagnant vers la porte m’a simplement dit “Adieu.”. Juste ce mot. J’ai répondu “au revoir”, sans rajouter le “à bientôt” habituel et suis sorti.
Souvent je me remémore cette période, les temps passés dans la salle d’attente à feuilleter des vieux numéros de journaux, ceux avec les grilles de mots-croisés remplies à moitié, probablement parce que personne n’avait eu suffisamment de temps pour les terminer, on ne fait pas attendre le praticien qui nous appelle, n’est-ce pas ? Je me souviens de ce jour où il avait eu une urgence psychiatrique et pendant laquelle j’avais du patienter plus d’une heure trente. Après avoir parcouru les articles sans cesse relus, j’avais fini par jeter un œil distrait à l’horoscope et ce que j’y avais lu m’avait surpris. C’était, mot pour mot, ce qu’il m’avait demandé la semaine précédente !
Texte écrit à l’occasion des sabliers givrés de Kozlika, dont l’entame du grain 3, choisie par Saperli, provenait d’un billet de Mavie sur son blog Une vie rêvée, Oro Scope :
Oups, ça fait bizarre, non? Avant, il me parlait de mon succès assuré en amour, de mon impatience coupable au travail, de mes relations sociales assymétriques et là, une citation sur les gens qui se croyaient indispensables.
1 De Malgven -
Beau texte, comme toujours on s’y laisse prendre.