Cellules

Ce matin, derrière la petite porte du n°5, des trucs pas très ragoûtants… Un œil orange et gélatineux, et un alien bleu à cheveux verts. Je leur avais pourtant bien précisé aux matons, pas de bonbons après l’extinction des feux ! Ils en avaient éparpillé partout, les gélatineux surtout et ça allait provoquer la furie des dames de service qui allaient arriver tout à l’heure. J’ai continué ma ronde, tranquillement, en m’arrêtant à chaque œilleton des cellules capitonnées. Le n°17 avait comme d’habitude roulé son matelas pour en faire un tunnel et passait son temps à se trémousser pour ramper au milieu. Le 21 comptait ses doigts de la main droite avec ceux de la main gauche et vice-versa. Quand au 38, toujours avec sa girafe en plastique dans la bouche, il bavait à qui mieux mieux. Bref, la routine.

J’ai toisé Lola qui se faisait les ongles en rentrant dans le boxe de jour et j’ai posé mon trousseau de clés. Rien à signaler sur le cahier de ronde, comme d’habitude lorsqu’ils avaient eus leurs rations de molécule du bonheur. Le vieux fauteuil fatigué m’a tendu ses deux bras cassés et c’est avec un long soupir qu’il a quasi rendu l’âme quand je me suis affalé dessus. La télé gueulait une réclame dans un coin en haut de la pièce, protégé par une grille solidement fermée par un cadenas ouvert. On avait perdu la clé il y a six mois mais aucun de nos visiteurs n’avait remarqué la boucle pendante. J’ai ouvert le tiroir du bureau et j’ai sorti le vieux policier que je m’apprêtais à terminer dans la matinée. Aussitôt Lola a replié sa trousse à manucure, accroché sa blouse à la patère derrière la porte et est partie sans dire un mot. J’avais fini par m’habituer à son silence au bout de quelques mois. La direction devait vraiment besoin de faire des économies. Embaucher une sourde-muette comme gardienne et standardiste, fallait oser, mais que voulez-vous, elle était subventionnée.

L’alarme lumineuse a clignoté un moment avant de s’éteindre. Surement Harry qui ressortait du n°6. Je l’aimais bien le locataire du 6. Il était tout sauf méchant, surtout quand il vous regardait avec ses grands yeux étonnés, mais il fallait se méfier tout de même. Vous vous laissiez attendrir et si vous vous rapprochiez il en profitait aussitôt pour vous croquer, et de belle manière. Harry avait la technique. Il venait avec le bras emmitouflé dans un gros drap bien épais et il s’approchait doucement de lui. Il ne fallait jamais plus d’une minute avant que les crocs se plantent dedans et Harry sortait alors la matraque en caoutchouc qu’il cachait dans sa poche arrière. Il fallait normalement une bonne dizaine de coups avant qu’il ne soit assommé, parfois plus. Et il en redemandait tous les matins le 6, comme s’il lui fallait sa ration de gnons pour passer une bonne journée. Allez comprendre, moi j’avais cessé de me poser des questions à ce sujet.

La cellule 13 était restée longtemps inoccupée. C’était un ancien placard froid et sans ouverture, particulièrement humide et sale, dans lequel on ne pouvait rester longtemps sans tomber malade. Il nous servait pour les punitions. D’habitude il suffisait d’une seule journée la dedans pour ramener le puni à un comportement plus souple et raisonnable. Le métal glacé des murs étaient beaucoup moins accueillant que le capitonnage des cellules normales. Il fallait y emmener le n°6 aujourd’hui et ça n’allait pas être une partie de plaisir. Jamais je n’avais vu un colosse comme celui-ci. Plus de deux mètres, une armoire à glace, des battoirs à la place des mains et un regard mauvais, mais vraiment mauvais. L’équipe du pavillon voisin devait venir nous prêter main-forte dans l’après-midi pour effectuer le transfert.

J’ai décroché le téléphone pour appeler le service d’entretien. Il fallait passer les cellules au jet aujourd’hui, pour la visite hebdomadaire du contrôleur ce soir. J’avais préparé les chaines, les bracelets de cuir et les camisoles dont on allait avoir besoin. On avait souvent des problèmes avec les occupants du premier étage, évidemment avec leur phobie de l’eau, mais on ne pouvait faire autrement, les crédits pour les produits secs avaient depuis longtemps été sacrifiés à l’autel des économies. J’ai sorti le filet, obligatoire pour les attraper et je suis sorti à leur rencontre. Fichu métier quand même !

Ah ? Je ne vous ai pas dit ? Je suis gardien de zoo, au quartier des primates.


Texte écrit à l’occasion des sabliers givrés de Kozlika, dont l’entame du grain 6, choisie par Bbt, provenait d’un billet de Lola sur son blog D’ici là, Monstrueuse surprise :

Ce matin, derrière la petite porte du n°5, des trucs pas très ragoûtants… Un œil orange et gélatineux, et un alien bleu à cheveux verts.

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