Sept personnes, dans un appartement agréable, réunis pour fêter une crémaillère autour de bon petits plats joliment présentés et discutant de tout et de rien, surtout de tout. À mon habitude j’écoute, parle peu, essayant de masquer par une attention soutenue les lacunes que j’ai dans quelques domaines que je ne connais quasiment ou absolument pas. Premier préjugé ! Je ne connais pas, je suppose que tous les autres savent, et j’évite de passer pour un con en posant des questions idiotes. Donc j’écoute, je ne fais quasiment que ça. Quelqu’un m’a dit ce matin « Mais essaye de te mettre à la place de ton interlocuteur, si tu ne dis rien, que peut-il penser de toi ? ». Je ne m’étais pas posé la question sous cet angle, persuadé qu’il valait mieux se taire plutôt que d’admettre mon ignorance. N’ai-je donc aucun avis sur n’importe quel sujet. N’ai-je donc aucune question à poser pour tenter de comprendre un peu de quoi il retourne. Bien sûr que si…
Les sujets s’enchaînent, parfois en me donnant l’occasion de glisser une anecdote ou un avis, et puis on en vient à parler d’enfant. Du désir d’enfant plus précisément. Parmi ces sept personnes, deux femmes qui sont mères, quatre homos[1] qui ne sont pas pères et moi qui le suis après un parcours très long et chaotique — il a fallu neuf ans avant d’obtenir un résultat et il aura fallu user de toute la science disponible pour y arriver. J’ai été très surpris d’entendre qu’un sinon deux d’entre eux souffraient de ne pouvoir combler ce désir. Comment quelqu’un qui avait choisi ce mode de vie — vivre en couple avec un autre homme — pouvait en même temps désirer un enfant. Pour moi c’est de l’ordre de l’impossible, biologiquement parlant. Deuxième préjugé ! J’en ai parlé quelques jours plus tard avec une amie et j’ai compris seulement à ce moment là qu’ils n’avaient pas choisi. Ils n’ont pas choisi leurs conditions, ils ne peuvent en changer.
Ça a été un choc, presqu’une révélation. Depuis quelques jours je reconstruis doucement mes points de vue vis-à-vis d’eux. C’est compliqué de mettre tout ça à bas et reconsidérer à la lueur de cette nouvelle connaissance tout le paysage dans lequel ils vivent. Comme un château de carte qu’il faut rebâtir patiemment. Je commence à comprendre ce qu’un Coming-out peut représenter, comment il peut être violent, délibéré ou pas. Je commence à comprendre pourquoi ils préfèrent former une communauté pour se protéger. Maintenant je comprends encore moins pourquoi nos sociétés sont si agressives envers eux, alors que cette condition existe depuis toujours, forcément. Pas plus pourquoi être hétéro est considéré comme normal et homo pas.
Lors de leurs discussions à propos des enfants, j’ai évité de parler de ce que j’avais personnellement traversé et vécu et de la joie que j’avais d’en avoir un maintenant. J’ai pensé sur le moment que c’était cruel de faire ça alors qu’ils ne pourraient jamais le vivre et ce parce qu’ils l’avaient décidé. J’ai compris depuis que j’aurais pu en parler, simplement pour dire que je comprenais ce désir. Parce que j’imagine le courage nécessaire pour être capable d’en parler ouvertement.
Je suis probablement farci de préjugés. Certains sont peut-être légitimes, d’autres non, et je suis prêt à les remettre en question, les uns comme les autres. J’aimerais pouvoir changer l’image que je donne de moi car elle n’est pas celle que je souhaite, alors j’apprends, petit à petit. C’est difficile d’avouer qu’à mon âge j’ai encore tant de chemin à parcourir. C’est douloureux de constater la perception que les autres ont de soi et qui ne correspond pas à celle qu’on souhaiterait.
Messieurs et mesdames, j’aurai des questions à vous poser !
Billet initialement publié le 10 février 2009, et je mesure un peu le chemin parcouru depuis.
Notes
[1] Je ne sais jamais quel terme utiliser pour les désigner, alors à défaut et ne me considérant pas choqué qu’on me traite d’hétéro j’ai choisi celui-ci.
1 De mirovinben -
Je me rappelle très bien de ce beau billet, qui m’avait marqué : nous sommes tellement pleins de préjugés. La situation narrée évoquera sans doute beaucoup de choses à qui te (re)lira.
Merci d’avoir extrait ce billet des limbes.
2 De Ardalia -
En effet, on ne choisit pas ses désirs… La “normalité” est un mythe dont les bases sont souvent religieuses et politiques.
3 De Cunégonde -
J’aime beaucoup ce billet, comme j’apprécie l’image d’un homme généreux que j’ai vu en te rencontrant. Je pense que nous avons tous des préjugés, qu’il faut du courage pour les dévoiler, et les combattre.
4 De samantdi -
On a tous des préjugés et parfois on essaie de les combattre… Et d’autres restent difficiles à déloger. Je suis parfois déçue de voir que des gens victimes de préjugés en ont eux mêmes.
Mais il ne faut pas se laisser abattre :-)
5 De jathenais -
Ta réédition vient en écho à un reportage vu hier au détour d’un zapping. Il n’y était pas question d’homosexualité, mais bien de société monosexe et asexuelle (je barbarise un peu). Une congrégation de soeurs bénédictines. 53 femmes qui vivent ensembles, qui ne sortent de leurs murs que pour aller voir un médecin ou voter. L’une d’entre elles dît d’ailleurs non sans humour que 53 femmes qui vivent ensembles est en soi une preuve de l’existence de dieu. Bref, moi qui ne suis pas franchement réceptive à l’appel des cieux, la bonne parole, les religions dans leur ensemble, j’ai un peu de mal à comprendre comment on peut choisir cette vie là. Mais elles sont drôles et profondément sympathiques toutes ces demoiselles de tous âges. Alors je regarde. Vient la question de l’enfant. L’une des jeunes, qui fut un temps instit de maternelle, admet que oui, deux trois marmots qui lui courent dans les pattes, elle aurait sans doute aimé, que certains jours c’est un peu plus dur que d’autres, qu’il faut alors à nouveau renoncer, et qu’il en va de même d’ailleurs pour d’éventuelles envies de chair. Et puis une autre, de plusieurs dizaines d’années son ainée, qui aborde elle-même le sujet quand on lui demande ce qu’elle retient de cette vie passée au couvent : le manque d’enfant, et à sa lèvre qui tremble, à sa voix moins assurée qui baisse, on devine une profonde souffrance de n’avoir pu assouvir ce désir là. Et le sentiment qu’elles n’ont plus n’ont pas “choisi”. Enfin, si un peu, mais quand même, pour les plus anciennes, sans doute poussées par des familles qui achetaient leur place au ciel, pour les plus jeunes un truc inéluctable contre lequel elle ne peuvent aller, au plus profond d’elles-mêmes…
6 De Laurent -
Il y a aussi des homos qui ne veulent ni enfants, ni chats. (Très beau billet…).
7 De Franck -
Merci les gens !
8 De Franck -
Laurent ça dépend :-)