Ma voisine

J’ai une voisine, je vous ai pas dit ? Une voisine un peu spéciale. Elle a pas l’air d’être méchante, non, juste elle est un peu spéciale. Comment dire, elle a une drôle d’habitude, à quelques moments de la journée où elle ouvre en grand ses fenêtres, et, alors qu’elle doit probablement regarder la télé — mais ceci n’est qu’une supposition gratuite de ma part et sans guère de fondement — elle se met à commenter largement ce qu’elle y entend. Tout est prétexte à déblatérer, crier, hurler, à tout le quartier, car non contente d’avoir une gouaille particulièrement prononcée — son accent typiquement parisien y joue probablement pour pas mal — elle possède ce que d’aucun appellerait un joli coffre !

Voyez plutôt ces quelques exemples tirés un peu au hasard car elle a du stock :

« T’as de la cellulite ?
— Oui, derrière l’oreille ! »

« Il a trouvé une blondasse avec un gros cul. »

« T’as mis ta culotte ? »

Jamais ordurier, parfois grossier. Elle a l’air de posséder une culture très ancrée dans le passé — je l’ai entre-aperçue une fois et je lui avais donné entre quarante et cinquante ans, la fois suivante plutôt la soixantaine bien tassée —, connaît les classiques d’une autre époque, ceux de l’entre-deux guerres ou juste après la grande dernière. Il me semble l’avoir entendue chanter du Piaf ou bien encore quelques refrains de chansons de Jacques Brel.

Mais ce n’est pas tout. Alors qu’une célèbre chanson d’Alain Bashung passait à la radio poussée à fond pour que l’immeuble en profitât aussi elle a eu ce dialogue à deux voix en prenant soin de changer légèrement d’intonation entre les répliques, à tel point que je me suis demandé si elle était seule ou pas — en fait elles ont l’air de bien s’entendre elle et sa copine schyzo :
« Il est mort ?
— Qui ?
— Bashung !
— Oui. »

Encore très récemment on a entendu très distinctement le slogan suivant, slogan qui était un des best-of du défilé du 1er mai dernier[1] :
« Tous ensemble, tous ensemble ! »

Et c’est comme ça, tous les jours ou presque lorsqu’elle peut ouvrir ses fenêtres. Ça peut durer une heure, une heure et demie. Pendant un temps je me suis demandé si elle n’était pas une ancienne habituée de l’hôpital situé tout près de chez moi, celui spécialisé dans les pathologies mentales, le bien connu hôpital Sainte-Anne. Peut-être que son état ne nécessitait plus qu’elle soit à demeure là-bas et qu’elle pouvait dorénavant loger ailleurs. Évidemment je me suis dit qu’une personne devait passer la voir tous les matins et que c’était la raison pour laquelle son spectacle s’arrêtait, mais comment être sûr ?

Comme je disais au début elle n’a pas l’air d’être méchante, juste un peu intrusive dans nos calmes silences, mais que faire sachant qu’elle ne doit même pas se rendre compte de la nuisance dont elle est l’origine. Un jour, un voisin excédé lui a crié « Ça suffit ! Tu n’es pas chez ta mère ! ». Curieuse phrase qui a pourtant eu l’effet escompté. On ne l’a plus entendue de la journée. Ce n’est que le lendemain matin qu’elle a repris son rituel.

Finalement elle met un peu d’animation dans mon quartier et je ne lui en voudrais pas plus que ça si elle ne commençait pas sa représentation à cinq heures trente tous les matins !

Notes

[1] On me glisse à mon oreille que ce slogan est en fait particulièrement vieux, presque quinze ans ! Mazette, moi qui pensait qu’il était tout neuf.

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