La tête du client

La vie est injuste. J’en ai été témoin ce matin, à deux reprises.

Je me trouvais à peine installé dans ce bus qui avait fini par arriver après quelques minutes de patience que le chauffeur de celui-ci décidait de repartir. Il ne me semblait pourtant pas en retard par rapport à l’affichage du système SIEL mais comme j’étais le nez enfoui dans ma lecture passionnante du moment — il faudra que je vous en reparle un de ces jours — il est probable que j’ai perdu le sens du temps passé. Bref, le machiniste a démarré tout en fermant les portes de son véhicule. J’ai avisé, alors que nous commençions à rouler, une personne qui courait à notre rencontre en faisant des signes. Que nenni, le chauffeur ne s’arrêta pas comme j’aurais pu le supposer — j’ai fréquemment été témoin d’une scène équivalente et bien souvent le quidam qui court a de fortes chances d’atteindre le Graal une place chauffée. Dépité, le client s’est arrêté puis s’est dirigé vers l’abribus pour attendre le suivant. Sa vie était trop injuste avec lui ce matin.

Quelques hectomètres plus loin, et alors que le bus repartait de l’arrêt suivant, j’ai aperçu une deuxième personne qui courait vers nous tout en traversant la rue — au péril de sa vie vu la circulation ambiante. Là, le chauffeur pila net et ouvrit les portes avant pour permettre à l’essoufflé de monter. Ah ! Visiblement le machiniste devait avoir des têtes qui lui reviennent et d’autres pas ce matin. Curieux, à moins qu’il ait voulu, dans un élan de solidarité citoyenne, sauver la vie de cette personne alors qu’elle était sur le point de se faire renverser ou pire encore ? Bref, nous repartîmes, cinquante environ, toujours bien assis compressés dans ce bus heureusement bien chauffé.

Quelques hectomètres plus loin, rebelote. À peine les portes de l’engin refermées et alors qu’il s’ébranlait à la poursuite de l’arrêt suivant, un autre quidam utilisa à peu près le même stratagème pour caresser l’espoir de monter lui aussi dans notre boîte à sardines vitrée. Que nenni une nouvelle fois ! Notre compère cocher décida cette fois de ne pas céder à ses appels bruyants et aux nombreux coups portés sur la carlingue par ce client plein d’espoir. Il accéléra plutôt pendant que le dépité retournait vers le poteau indicateur qui lui ne portait aucun affichage SIEL, quelques travaux ayant visiblement dérangé l’installation normale de la régie à cet endroit. La vie était décidément injuste avec ce citoyen ce matin.

J’ai alors refermé mon ouvrage pour réfléchir aux raisons qui avaient poussé le chauffeur du bus a refuser l’accès au premier et au troisième client alors qu’il l’avait volontiers fait et ce malgré la position du bus à cet instant — nous étions en train de traverser un carrefour — avec le deuxième. Était-il raciste ? Je ne pense pas car les trois personnes avaient un type caucasien — comme disent nos cousins d’Amérique — tout à fait courant, blancs. Connaissait-il la deuxième personne ce qui aurait pu expliquer son arrêt exceptionnel pour celle-ci et pas pour les autres ? Pas plus si j’en juge par l’absence de conversation, à part un « merci » de l’un et un « …» (quelque chose que je n’ai pas entendu) en retour. C’est finalement avec regrets et quelques déceptions que j’ai fini par admettre que le fait d’être blonde et mince pouvait faire pencher la balance d’un jeune chauffeur taciturne alors qu’être petite et plutôt enrobée comme la première cliente ou grand et brun comme le deuxième ne le pouvait pas.

Voilà donc un chauffeur qui accepte tous les clients aux arrêts de bus — bien obligé — ET les menues blondes en dehors. Les autres sont priés de porter réclamation à la régie, bien que je doute que celle-ci fasse quoi que ce soit pour changer l’attitude de ses employés dans ce domaine — règlement, règlement —, ou de porter une perruque et de faire un régime. Je me suis laissé dire que quelques uns avait déjà commencé à maigrir ;-)

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