Je me souviens d’une semaine un peu particulière vécue il y a de ça quelques années. L’endroit était sombre, plutôt chaud et moite, avec une poussière sombre flottant dans l’air qui donnait une impression étrange, presque angoissante.
L’homme présent là vaquait à ses occupations sans s’occuper de moi. Il avait aménagé un coin de la grande salle à l’aide de vieux casiers et ainsi s’était reconstitué un petit salon-cuisine et une chambre. Un vieux lit de camp, une malle en fer, une table et deux chaises constituaient les seuls meubles visibles. Tout le reste était posé à même le sol, gazinière, bouilloire électrique, une pile de vieux magazines en allemand…
Une faible lampe nue luisait vaguement au dessus de nos têtes alors que j’étais entré. Il était vingt heures. Je me tenais un peu en retrait de la table en attendant qu’il me dise quoi faire. Pas un signe, pas un geste, rien qui puisse m’indiquer qu’il m’avait vu arriver. Quelques minutes avaient passé. Il s’était ensuite levé, avait rempli sa bouilloire et mise à chauffer.
« Ja ? » m’avait-il dit en allemand.
Je lui avais répondu que j’étais détaché ici pour la semaine conformément au planning prévu au début du mois. Je ne savais pas s’il me comprenait et alors que je terminais ma phrase il s’était retourné et avait attrapé un gros cahier corné qui était posé sur le coin de la table.
« Name ? » avait-il poursuivi, toujours en allemand. Ne comprenant pas je lui avais demandé de répéter sa question. « Nom ? Name ? » avait-il repris l’air agacé. J’avais alors décliné mon patronyme pendant qu’il le notait avec un crayon noir. Ce sont les seules paroles que je lui avais entendu prononcer ce soir. Il m’avait montré un coin, au fond de la grande salle, juste après un renflement du mur et était retourné à sa lecture.
J’avais repris mon sac que j’avais posé à mes pieds et m’étais alors dirigé vers l’endroit désigné. Un lit en fer finissait de rouiller dans un coin. Un vieux matelas, une couverture élimée, un traversin complètement défoncé étaient les seuls objets présents. J’avais glissé mon sac sous le lit après en avoir extrait mon sac de couchage. Rien d’autre à faire que d’observer, à dix mètres de là au moins, l’homme affairé à sa lecture.
La nuit avait passé jusqu’à tôt le matin où j’avais senti quelqu’un me secouer l’épaule. « Achtung ! » répétait-il. Je m’étais relevé, encore à moitié endormi et l’avais observé. Il tenait une tasse fumante dans la main. Une fois extrait de mon sac de couchage il m’avait tendu la tasse et était reparti aussitôt en me disant « Gut, gut, … und kommen … », ou quelque chose d’approchant. Mes deux ans d’allemand que j’avais vaguement suivis à l’école ne me suffisait pas à comprendre tout ce qu’il disait. Il était cinq heures du matin.
Il était plutôt petit et bien enrobé, plutôt âgé. Quelques cheveux grisâtres voire jaunâtres dépassaient de la casquette informe qu’il portait sur le crâne. Comme la veille il était vêtu d’un bleu de chauffe et d’un cardigan gris. De grosses chaussures délacées qu’il portait comme des mules martelaient le sol à chacun de ses pas.
J’ai commencé à boire ce qui ressemblait à un vague café très chaud et pas sucré tout en l’observant se rassoir à sa table. Il notait laborieusement quelques mots sur son cahier lorsque je m’étais enfin approché. Une fois sa tâche finie il s’était levé et m’avait fait signe de le suivre…
J’ai sué quelques litres d’eau pendant les deux heures durant lesquelles j’ai trimé dans le tas qui trônait au milieu de la réserve. La pelle était facile à plonger mais c’était plus compliqué de conserver son contenu à l’intérieur le temps de la verser dans la brouette. Une fois pleine il fallait que je l’amène juste à côté de l’endroit où je dormais, que j’ouvre l’une des deux portes et que je vide le contenu dedans, tout en prenant garde de ne pas me brûler. Elle était gourmande le matin, la chaudière de la garnison qui ronflait derrière les vitres épaisses et fumées.
J’ai passé deux heures le matin, deux heures en début d’après-midi et deux heures en début de soirée, tous les jours de cette semaine, à la nourrir, pendant que le vieux chauffagiste se livrait à son occupation favorite. Il ne quittait ses magazines que pour venir, une fois de temps en temps, vérifier que je faisais correctement mon boulot et après une série de « Gut, gut ! » il finissait en disant un « Achtung ! » curieux et dont je n’ai jamais compris la raison.
Je ne sais pas combien de tonnes de charbon j’ai trimbalé entre la remise où il était stocké et la chaudière où il était consommé, j’exagère probablement en parlant de tonnes. Je ne sais pas combien de milliers de pages le vieil Allemand a lu pendant mes journées passées dans ce sous-sol, j’exagère probablement en parlant de milliers. Je sais pour avoir eu le temps de les compter, les secondes et les minutes et les heures écoulées à attendre l’heure du repas suivant, celui au menu unique et récurrent des boulettes noires, j’exagère probablement en parlant de… Qu’est-ce que je m’étais emmerdé pendant ces journées !
1 De juju -
j adore …
2 De Franck -
Danke shön !