Le carreau

Un carreau cassé à la fenêtre, ou plutôt les deux carreaux du double vitrage cassés sur la fenêtre qui donnait sur la terrasse, et puis cette odeur, si particulière, entêtante, qui s’accroche à vous et qui ne vous quitte plus pendant des heures, pendant des jours, à vie — foutue mémoire des odeurs justement. Voilà les premiers souvenirs qui me sont revenus avant-hier alors que je repensais à la façon dont j’ai découvert mon oncle cette nuit là.

Un appel, vers vingt-deux heures trente, d’un oncle éloigné du sud de la France et qui me demandait si j’avais des nouvelles de mon autre oncle, celui de la banlieue sud de Paris. Non, aucunes, en tout cas pas depuis quelques semaines. On parle un moment, il m’explique que ce sont quelques collègues de travail de mon oncle qui l’ont appelé pour savoir s’il savait ce qu’il était devenu car il n’était pas revenu au boulot depuis quatre jours. On décide assez rapidement d’appeler la police de sa ville pour savoir s’ils peuvent s’enquérir de lui car il ne répond ni au téléphone fixe ni sur son portable.

Il a fallu négocier un long moment avec la marée-chaussée pour qu’ils daignent se rendre sur place, et finalement ils m’ont rappelé une heure plus tard pour me demander de venir. Pas moyen d’en savoir plus au téléphone, ils demandaient simplement la présence d’un membre de la famille, sans rien vouloir préciser de plus. Soit, je me rhabille, et nous partons avec ma femme sur place. Il nous faudra une bonne heure pour arriver là-bas et se retrouver devant un digicode récalcitrant. Nouveau coup de fil à la police, pour les prévenir que nous étions en bas mais bloqué devant la grille, et ce n’est que vingt minutes plus tard que nous obtenons finalement l’ouverture par le gardien fraîchement réveillé et pas content.

Nous montons au dernier étage de cet immeuble récent, de bon standing, au milieu d’une banlieue plutôt sordide. Dès la sortie de l’ascenseur nous avions compris. L’odeur. Si particulière, si définitive, si porteuse de sens. Nous avons parlé avec un policier présent, plutôt énervé d’avoir du rester à nous attendre dans l’appartement et en quelques minutes il avait prévenu un médecin pour le constat. Ce médecin qui s’était empressé, une fois sur place, de déclarer que la mort remontait à moins de 24 heures — ce qui faisait une procédure d’autopsie en moins à gérer pour la police, et qui leur évitait d’avoir à faire emmener le corps, etc — et de nous informer que nous devions nous charger des formalités.

Il est une heure trente du matin et nous voilà avec mon oncle dans un coin de la salle de bain, mort d’une chute alcoolisée sur l’angle du lavabo, et moi au téléphone avec son fils que j’avais fini par réussir à joindre et qui n’avait pas vraiment l’intention de s’occuper de tout ça. Il est finalement arrivé quelque temps plus tard sur mon insistance et j’ai pu quitter avec soulagement cet endroit que je ne reverrais plus et duquel je garde cette unique image de carreaux cassés par les pompiers appelés en renfort — la porte blindée de l’appartement avait drôlement résisté — et cette odeur reconnaissable entre toutes.

Dommage ! On s’était perdus de vue pendant pas mal d’années puis retrouvés à l’occasion d’un enterrement — de sa sœur, de ma mère, morte accidentellement elle aussi — avec plaisir et nous nous rencontrions fréquemment depuis quelques mois. Je me souviens avoir perçu de l’étonnement parmi les personnes présentes lors de sa crémation lorsque quelques larmes avaient coulé sur mes joues. Curieuse famille.


Publié initialement en septembre 2008

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