Du bon usage d'un billig et d'un chat

Prenez quelques amis qui, pour marquer l’installation au pays, offrent un billig à la toute nouvelle habitante. Ensuite, laissez reposer jusqu’à ce que vous trouviez un volontaire prêt à s’en occuper. Quelques heures passées à humer le fin et délicat fumet de l’huile qui brûle sur la fonte afin de le culotter. Puis, le jour venu, l’envie de le mettre à contribution.

D’abord la pâte :

  • De la farine de blé noire, en provenance d’un bon minotier du coin.
  • Un soupçon de farine de froment.
  • Des œufs en quantité parfaite.
  • De l’eau.
  • Du lait, un peu plus.
  • Du sel enfin.

Mélangez dans le bon ordre pour ne plus avoir de grumeaux et une pâte uniforme et onctueuse puis aérez vigoureusement pendant plusieurs minutes, c’est très important !

Pendant ce temps le billig chauffe doucement jusqu’aux 220° réglementaires lorsqu’on débute. On pourra pousser jusqu’à 230, voire 250 degrés si quand l’habileté et la vitesse sont seront au rendez-vous.

Pendant ce temps faites aussi la mise en place des bon ingrédients que vous aurez à mettre sur les crêpes. A minima pour la célèbre complète, du jambon blanc, du gruyère et des œufs.

Placez à côté du billig le tampon pour essuyer la fonte, la longue spatule pour retourner les crêpes et enfin le petit râteau pour étaler correctement la pâte.

Voilà, tout est prêt. La pâte a reposé au moins un petit quart d’heure. La table est prête, vos convives piaffent d’impatience et se battent déjà pour savoir qui aura la première crêpe. Le cidre coule dru, au moins autant que l’iode qui tombe au dehors, derrière la fenêtre !

C’est le moment venu de composer la première, celle du chat. Trouvez donc un chat quelque part, c’est très important, car il faudra qu’il consomme la première crêpe, celle qui commandera toutes les autres. En effet, de la cuisson de celle-ci, et de la manière qu’elle aura de se comporter sur le billig, de la matière qu’elle laissera sur la fonte, dépendra la réussite des suivantes. Un druide peut aider s’il connaît deux ou trois incantations !

Tenez le chat par la peau du cou de la main gauche — inversez mes indications si vous êtes gaucher — et remplissez la louche de pâte. Déposez le contenu sur le coin haut-gauche du billig puis reposez la louche dans le grand bol de pâte. Attrapez le râteau tout en évitant les griffes du chat qui voudrait bien aller faire un tour ailleurs (un coup de louche sur le coin de sa tête peut aider à le calmer un peu). Écartez de la bonne manière la pâte sur la totalité de la surface du billig et reposez le râteau à l’envers sur le côté.

Pendant que la crêpe cuit — on observera soigneusement l’évaporation de l’eau pour estimer le niveau de la cuisson — attrapez la spatule après avoir décroché les griffes du chat plantées dans votre bras gauche. Commencez à décoller un peu la crêpe sur le bord haut-droit et lorsqu’il est temps, glissez la spatule jusqu’au premier tiers sous la crêpe. Un petit mouvement de torsion et une remontée délicate vous permettront de retourner celle-ci correctement de l’autre côté. Pas trop vite, voilà.

L’autre côté doit cuire suffisamment mais pas trop, en tout cas moins que le premier. Voilà, c’est cuit. Toujours avec le chat enroulé autour de votre bras et ses dents solidement plantées dans votre épaule, attrapez la crêpe d’un retourné de spatule élégant et glissez la délicatement dans la gueule du chat qui enfin s’avouera vaincu et ira s’étouffer dans un coin de votre cuisine. Les plus débutants d’entre vous pourront dans un premier temps poser la crêpe sur une assiette et la glisser sur le sol devant le chat qui vous en saura gré — son plantage de dents sera sûrement moins vigoureux à la prochaine occasion, n’en doutez point.

Voici venu le temps de la seconde crêpe, qui sera en fait la première consommée par les rescapés de la bagarre dont je parlais au début de mes explications. L’avantage d’avoir attendu est qu’ils sont maintenant dans un pauvre état et ne se rendront absolument pas compte des erreurs et des défauts de ce que vous leur présenterez. Il est vrai qu’un œil au beurre noir et trois dents en moins rendent l’humain beaucoup plus tolérant.

Préparez donc votre deuxième crêpe comme la première jusqu’à la cuisson du second côté[1]. Une fois la seconde face cuite, retournez encore la crêpe sur le premier côté. Garnissez de beurre avec la spatule, largement et margement (c’est à dire jusqu’aux bords) pour que les bords, justement, ne brûlent pas.

La crêpe est désormais prête à être garnie. Posez délicatement les ingrédients dans l’ordre idoine, c’est important, et donnez un grand coup de pied au chat qui se frotte sur votre jambe en espérant bénéficier d’une deuxième galette[2]. Retournez ensuite les bords de la crêpe selon votre tradition ancestrale (j’ai personnellement choisi d’instaurer le parallélépipède comme usage dans ma famille) et laissez cuire, ou plutôt réchauffer comme il convient l’ensemble. Une fois à point, glissez la crêpe sur l’assiette que le dernier survivant vous tend fébrilement, puis prenez-lui l’assiette des mains et, pendant qu’il trépasse, allez vous installer tranquillement à la table, servez-vous une bonne bolée de cidre brut et dégustez votre chef-d’œuvre.

Vous pouvez, selon votre appétit, vous composer une deuxième crêpe en prenant soin de varier les ingrédients. Le poisson fumé accompagné de crème fraîche est un régal et une simple crêpe au salidou est juste une tuerie sans nom !

Un petit secret pour finir : ne mettez jamais de jus de citron sur la crêpe, en tout cas tant qu’elle est sur le billig, sinon c’en est fini de celui-ci, en tout cas de votre culottage qu’il faudra alors refaire à zéro.

Et puis comme je suis en vacances et d’un naturel généreux, un second secret : vous pouvez tout aussi bien utiliser un jeune enfant à la place du chat. C’est moins féroce mais ça braille plus. C’est une question de goût et comme chacun sait de gustibus non est disputandum !

Bon appétit !

Notes

[1] J’utilise second car comme chacun sait second ou seconde indique la fin de l’énumération au contraire de deuxième et comme il n’y a que deux côtés dans une crêpe l’usage de ce vocable est donc tout à fait indiqué ici.

[2] J’utilise galette parce que je suis un parigot, mais en Bretonnie de l’ouest, la galette ne concerne que les biscuits au beurre que l’on consomme avec son café ou son thé. Ici il n’y a que crêpe de blé noir (ou sarrazin) ou crêpe de froment.

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