Rien ne sert de courir

Hier, alors que je rentrais chez moi d’un train de sénateur de gauche, j’ai pu vérifier cette très vieille morale, mais encore d’actualité vous allez le constater, que Jean de La Fontaine nous contais alors dans des temps reculés : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».

Ordoncques, hier disais-je, j’étais sur mon fier destrier maxi-scooter en train de doucement remonter les files des travailleurs et des travailleuses prolétaires et peut-être de quelques sous et cadres[1] coincés dans leur boîtes en ferraille en attendant que le précédent veuille bien avancer … un peu. En cela, je suivais paresseusement une grosse ambulance — façon gros fourgon américain comme dans les films avec les gyrophares et tout et tout — qui usait de son deux-tons pour se frayer un chemin lui aussi. En restant dans son sillage je n’avais pas à me soucier de malotrus ayant envie de déboiter pour changer de file, des fois que cette nouvelle file, dotée d’un nouveau couillon, aille plus vite que celle qu’il avait laissée, ce grand couillon, et qui par conséquent avait une bagnole de moins, donc, allait plus vite. Logique. J’espère que vous suivez ! Mais pas trop près, hein ? Des fois que je vienne à freiner !

Petit à petit la file des deux-roues a grossi derrière moi et j’entendais parfois quelques coups d’accélérateur rageurs de gros-cubes pressés d’en découdre avec l’asphalte. Au bout de quelque centaines de mètres, environ, l’ambulance fut bloquée. Eh oui, il arrive qu’il ne soit plus possible de plus rien bouger du tout quand le périph’ est bouché, vraiment bouché. Quelques motocyclistes et scooteristes commencèrent à se glisser du côté droit et arrivèrent laborieusement à contourner le gros paquet coincé. Lassé d’attendre que ça se débloque devant, j’avais fini par suivre le mouvement et j’avais remonté quelques véhicules pour revenir ensuite juste devant l’ambulance.

Je roulais, et puis je roulais et je roulais. Toujours entre les deux files, prudemment comme il convient à mon train de sénateur de gauche. Soudain, le pittoresque est apparu[2] sous la forme d’un énergumène, noir, du genre plutôt africain de l’ouest mais je n’étais pas très sûr, habillé tout en noir, avec des chaussures noires, des gants noirs et un casque noir. Il était tout noir, donc. Son scooter, un presque aussi gros que le mien, mais pas tout à fait, et beaucoup plus inconfortable, mais beaucoup plus comment-j’ai-trop-pas-la-classe-avec-mon-maxi-scooter-man et noir aussi. Il se faufilait depuis la file de droite pour venir remonter lui aussi les files de voitures sur notre file. C’est bon ? Vous suivez toujours ? Eh bien accrochez-vous, ça va aller plus vite, en tout cas pour lui, au début.

Il arriva donc à mon niveau et plutôt que de me laisser le passage comme il se doit, l’usage et le code de la route le conseille ou l’ordonne, c’est selon, il tenta de forcer et de me passer devant. Je fis la gueule et mes yeux noirs — pareil que les siens, je peux vous dire que derrière la visière fumée, ça en jetait, j’avais trop pas la haine — le firent hésiter un peu. Il hésita, donc, j’hésita aussi parce qu’il avait l’air pressé et je suis très urbain comme garçon. Il hésita, j’hésita, ça klaxonna derrière et finalement il parti devant moi. Que n’avais-je bien fait !

Je l’ai vu accélérer rageusement avec la poignée dans le coin, bref, à fond, remontant la file en slalomant, doublant un autre scooter, oui oui, sur la mini-file entre deux grosses files de voitures bien serrées, en l’envoyant quasiment valser entre deux parechocs — ça aurait été moi il n’aurait pas pu, mon scooter étant beaucoup plus imposant que le pauvre 125cm3 qui avait fait les frais de la hargne du quidam en furie — et il avait fini par disparaitre de ma vue et un peu plus tard de mes oreilles, son pot d’échappement ne devant pas être très réglo réglo. Bref, il avait disparu, complètement.

Quelques centaines de mètres plus loin, et beaucoup de secondes aussi parce que je roulais toujours à mon train de sénateur… de gauche (bravo, vous suivez, c’est bien), j’ai remarqué un gros ralentissement, peu de temps avant la sortie que je devais négocier. J’ai ralenti, me suis faufilé et j’ai avisé quelques voitures arrêtées alors que d’autres circulaient sur les voies les plus extrêmes de ce tronçon à quatre voies. En arrivant au droit des voitures j’ai découvert deux gros scooters à terre, deux voitures dont l’aspect était assez éloigné des belles photos qu’on voit dans les catalogues des concessionnaires, un gros parechoc un peu en vrac gisant au milieu de la chaussée, un motard énervé qui relevait son scooter visiblement pas abimé et l’autre grand fada tout noir en train d’inspecter les débris cassés et tordus de son scooter tout noir que c’était plus du tout la classe et qui se tenait le poignet en hurlant que la-race-sa-mère-comment-il-me-l’a-trop-pas-niqué-cet-enculé.

J’ai contemplé quelques secondes le grand couillon debout au milieu de la chaussée, qui avait l’air d’avoir beaucoup plus mal à son égo qu’à tout autre endroit, et suis reparti pour enfin sortir du périphérique en me disant qu’il avait eu pas mal de chance d’être encore assez vivant pour hurler contre la terre entière son grand malheur injuste (non je n’ai pas dit qu’il l’avait mérité, non, non).

J’avais gagné \o/

Notes

[1] Je trouve bizarre, voire intrigante cette formule pour dire les cadres et les sous-cadres, pas vous ?

[2] Spéciale dédicale à Samantdi qui nous a fait tant rire avec cette anecdote qu’elle vous a peut-être déjà conté. Si ce n’est pas le cas, ne manquez pas de la supplier de vous la narrer, elle finira par s’y soumettre de bonne volonté qu’elle a très grande. Des bises si tu me lis.

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