Günter

Il était monté à Quimperlé, je crois, ou peut-être après, mais en tout cas bien avant Rennes qui était le dernier arrêt avant notre destination finale pour le retour vers la capitale. Plus grand que moi, largement, plus costaud que moi, largement, des mains grandes et épaisses et une démarche passablement empesée, il avait l’air de ne pas trop savoir comment s’installer dans ce pourtant confortable siège de 1ère du TGV.

Des lunettes fines cerclées de métal doré, un visage massif, des habits plutôt communs mais confortables, il a commencé à chercher la place pour allonger ses jambes après avoir balancé son petit sac à dos sur l’étagère au dessus de son épaule. J’avais de mon côté — placé que j’étais en face de lui et côté fenêtre dans ce compartiment ouvert de quatre personnes — posé mon sac entre mes jambes une fois déballé tout mon matériel qui allait m’aider à passer ses quelques heures d’attente. Ordinateur, casque audio, liseuse, etc. Il a testé un peu, d’un pied, puis de l’autre et finalement, se rendant compte qu’il ne pourrait pas avancer plus loin il m’a demandé un peu sèchement si j’avais la possibilité de mettre mon sac ailleurs.

Il avait un accent légèrement germanique, mais plutôt du côté suisse je dirais, parlant un français plutôt correct bien que parfois approximatif — son origine reste encore un mystère aujourd’hui — et je me suis demandé longuement qui il était, d’où il venait et où il allait, ce qu’il pouvait faire dans la vie. Je l’imaginait docker, marin, bourlingueur en tout cas. Le genre de gars dont l’aspect physique te pousse à la négociation polie en cas de différent !

Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent.

Michel Audiard, 100 000 dollars au soleil

J’ai alors pesté inpetto (mais inpetto seulement vu le gaillard) comprenant qu’il allait falloir tout mettre de côté, ranger, déplacer et alors que j’avais commencé le mouvement, ma compagne de voyage m’a conseillé d’essayer de le glisser sous mon siège. J’étais persuadé que ce ne serait pas possible, pensant que cet espace n’était pas accessible, mais en fait il y était entré sans la moindre difficulté et Günter — je ne connais pas son nom, alors baptisons le ainsi — avait alors poussé un soupir de soulagement, accompagné d’un merci (je crois me souvenir) quand il avait enfin pu allonger ses jambes.

Quelques temps ont passé ainsi, chacun de notre côté visionnant l’écran de nos ordinateurs respectifs, le casque vissé sur les oreilles. À Rennes, pause cigarette — non je n’ai pas repris, ma compagne par contre s’adonne assez régulièrement à cette coutume — et au retour elle m’avait indiqué discrètement la nature de ce que mon voisin d’en face regardait avec force sourires, voire quelques rires plutôt discrets : « Tom et Jerry ».

Il a passé de longues minutes ainsi, alors que nous roulions vers Paris, jusqu’au moment où averti de larges places disponibles ailleurs par un autre voyageur — lui même pas moins étrange, préférant venir s’installer dans notre carré avec son livre plutôt que de rester auprès de sa femme ou compagne — il a remballé son matériel et nous a souhaité une bonne fin de voyage avant de disparaître dans le couloir du wagon.

Géant bourru mais poli, visiblement grand amateur de dessins animés pour enfants, il constituait un mélange surprenant.

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