Aujourd'hui cacographe

Je ne pensais pas que les typographes et autres fondeurs avaient pu avoir une quelconque influence sur la langue française jusqu’à ce matin où en cherchant le mot cacographe je suis tombé sur un article très intéressant à ce sujet, dont je vous livre le résumé :

L’arrivée en France de nouveaux caractères typographiques bouleverse le monde de l’édition et les mentalités dans la première moitié du XIXe siècle. Les critiques fusent, qui trouvent toutes sortes d’arguments pour refuser les innovations britanniques. Pour autant un mouvement est lancé qui ne s’arrêtera plus et pose un problème de polices dont les potentialités esthétiques, avant Mallarmé, se trouvent interrogées dans les œuvres de Nodier, Balzac ou Doré.

Je découvre comment la forme peut influencer le fond, étant jusque là persuadé que ce serait plutôt le contraire. Cela dit, je lis aussi que les conservatismes étaient forts, que les traditions étaient bien ancrées et que l’orthographe — et probablement la grammaire — était tout aussi difficile à faire évoluer qu’aujourd’hui, bien que l’Académie Française ajoute de nouveaux mots tous les ans à notre lexique.

[…] Qu’Ambroise Firmin Didot puisse publier en 1867 des Observations sur l’orthographe ou orthografie française qu’il ouvre en appelant à « remédier aux imperfections encore si nombreuses de notre orthographe, imperfections qui démentent la logique et la netteté de l’esprit français »[1] montre, s’il en était besoin, comment un gardien du temple typographique peut s’appuyer sur sa connaissance de la lettre pour pousser l’Académie française à aller plus loin que la réforme orthographique avortée de 1835. Persuadé que sa famille a contribué fortement à mettre en place une police qui a repoussé une fois pour toutes du côté de la cacographie toutes les variations autrefois possibles, il veut appliquer à l’orthographe la même « simplicité », en l’occurrence selon un principe de transcription phonétique, aux antipodes de toute nostalgie pour l’antique ou le primitif quels qu’ils soient. Dans les deux cas il ignore qu’il se trompe. Deux mouvements contradictoires sont désormais en marche, l’un, dans le domaine de la langue, de frilosité puriste qui va bloquer, jusqu’aux très légers soubresauts de la réforme de 1990, toute tentative de moderniser l’orthographe du français pour l’aider à garder plus facilement une position d’importance sur la scène des langues d’usage international, l’autre d’inventivité typographique toujours plus grande qui permettra l’ « explosion formelle » du XXe siècle, grâce à « la précieuse conquête d’une liberté sans précédent, qui s’émancipe de tout impératif dicté par le passé »[2], dont la poésie s’emparera via Mallarmé avec délice, sans doute parce qu’aucune Académie n’est venu en entraver la marche et que le mouvement dépassait largement les frontières de la France. […]

Jacques Dürrenmatt, Quand typographie rime avec cacographie (1800-1850)

Pour en revenir au fond, je reste persuadé que la LOL-langue[3] d’aujourd’hui finira par rentrer dans les mœurs et les usages communs puis probablement dans notre lexique, même si pas dans son intégralité. Quant aux polices de caractères, elles sont tellement nombreuses et de formes différentes aujourd’hui que je vois mal comment elles pourraient désormais influencer notre orthographe.

L’exception d’alors, il y a deux siècles et plus, était remarquable et remarquée, la multiplicité d’aujourd’hui la rend invisible. On peut par contre se demander quel art ou quelle technique présent ou futur pourrait jouer ce rôle…

Par contre je crains que l’orthographe que nous connaissons aujourd’hui souffre énormément dans les années à venir vu le niveau palpable dans ce domaine chez les jeunes entrants sur le marché du travail, quel que soit leur niveau d’études soit dit en passant, et j’imagine que ça finira par poser des problèmes de compréhension qui pourraient eux-mêmes poser des problèmes beaucoup plus tangibles dans nos vies quotidiennes.

On en perçoit les signes avant-coureurs dans nos journaux d’information, sur nos affiches de pub, un peu partout dans la rue, probablement à la télé — que je ne regarde plus depuis des années — et c’est nouveau. Il ne se passe plus une semaine sans une faute grossière d’orthographe ou de grammaire dans les titres des news — parfois corrigée dans la foulée — ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. À part le droit, où l’orthographe et la grammaire tiennent encore une importance capitale, une virgule mal placée ou un adjectif mal accordé peut être suffisant pour travestir la volonté initiale du législateur, je ne connais pas un domaine où ce n’est pas le cas.

Ah ma bonne dame, que voulez-vous, les jeunes de maintenant, sont plus comme avant ! LOL.

Notes

[1] 2e éd. , Didot, 1868, p. 1.

[2] R. Jubert, ouvr. cité, p. 103.

[3] J’entends par ce vocable tous les sabirs utilisés aujourd’hui, essentiellement par les jeunes générations, entre eux, de vive voix ou via des media numériques.

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