Le renard

Il était une fois un jeune garçon qui habitait avec son petit frère et ses parents dans une petite résidence de banlieue. Leur appartement se trouvait au deuxième et avant-dernier étage. La chambre dans laquelle il dormait et qu’il partageait avec son frère avait une grande fenêtre qui donnait sur un petit parking dont une partie était surmontée d’un préau. Souvent, une fois la lumière éteinte et son frère endormi, il se relevait et allait se poster juste derrière les lourds rideaux qui masquaient la lumière du réverbère qui luisait plus loin.

C’était un rêveur et il pouvait rester des heures à observer les ombres, les lumières grises et à écouter les bruits qui ponctuaient le silence nocturne. Parfois il retournait se coucher et allumait sa petite lampe de chevet ou bien la lampe de poche qu’il cachait dans son tiroir pour continuer la lecture d’un roman ou d’un conte quand il ne s’agissait pas de feuilleter au gré des définitions un dictionnaire. Parfois il plongeait dans une sorte de semi-rêve dont le décor se trouvait de l’autre côté de la fenêtre…

Un renard passait souvent par ici une fois que le calme était revenu dans la ville, quasiment toute les nuits sauf pendant l’hiver, pensait-il en voyant remuer la longue queue de l’animal qui traversait furtivement la cour. Il était suffisamment intelligent pour savoir qu’il ne pouvait s’agir que d’un chat mais un chat dans son rêve n’était pas assez magique alors il le transformait toujours en un magnifique goupil roux et or dont les yeux brillaient à la lumière de la lune. Il l’imaginait partir à la chasse aux musaraignes ou aux gerbilles qui devaient pulluler dans la forêt, de l’autre côté de la nationale. Parfois il le voyait quelque temps plus tard, marchant plus doucement et traversant dans l’autre sens puis disparaissant dans la noirceur de la nuit…

Juste derrière le préau, après le mur qui bordait la résidence, se trouvait une usine de blocs de glace. Il en était convaincu car souvent, la nuit seulement pour des raisons de température imaginait-il, il observait un homme qui marchait sur le préau, habillé de vêtements sombres, le dos recouvert d’une grossière toile de jute, et portant un gros et lourd bloc de glace presque translucide qu’il avait ferré avec un crochet à manche de bois. Aussitôt qu’il le voyait le petit garçon se reculait pour éviter d’être aperçu par le débardeur. Il glissait juste un œil pour suivre la progression de l’homme qui allait chargé, toujours dans le même sens, de la droite vers la gauche, et qui redescendait une fois traversée la longueur du préau…

Quelques années plus tard, le petit garçon devenu un homme est revenu voir cette petite résidence. Il est entré dans la cour, puis a longé le petit immeuble pour enfin se retrouver sur la scène de ses rêveries d’enfant. Le préau n’avait pas changé d’allure, le parking et la cour non plus, par contre l’usine de glace avait été remplacé par un concessionnaire automobile dont les néons clinquants gâchaient maintenant la poésie du décor. Il n’a jamais su s’il s’agissait vraiment d’une usine qui fabriquait de la glace. Il n’a jamais su s’il s’agissait vraiment d’un renard qui avait son terrier caché non loin. Par contre il sait encore aujourd’hui les rêves qu’il faisait alors.


Publié initialement le 30 juillet 2008.

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